Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

H. DEWAR L'assassinat de Serge Mironovitch Kirov a été utilisé comme prétexte par Staline et par Molotov et Kaganovitcb, qui étaient ses proches collaborateurs, comme un prétexte pour régler leurs comptes avec des gens indésirables (s niéougodnymi lioudmi) 4. Visiblement, le coup de sonde dans l'affaire Kirov servait à Khrouchtchev à la fois de menace et d'arme dans la lutte contre les « éléments antiparti ». Cependant, le problème restait entier - et il le demeure pour ceux qui ont remplacé Khrouchtchev : comment présenter une explication complète de cet événement, qui aujourd'hui encore continue de hanter ceux qui furent jadis les compagnons de Staline? CONFORMÉMENT A UNEDÉCISIONdu XXIIe Congrès, désireux d'honorer la mémoire de certaines victimes du « culte de la personnalité », la Pravda publie de temps à autre des articles à ce sujet. L'un d'eux, consacré au XVIP Congrès du P. C. de l'Union Soviétique, offre un exemple caractéristique de la manière dont les antistaliniens tentent d'expliquer comment les choses ont mal tourné 5 • Suivant l'article en question, au XVIIe Congrès le Parti était « uni et monolithique ». C,é' ta!t le « congrès des vainqueurs », auquel d_anciens membres de groupements d'opposition eux-mêmes - tels Zinoviev Kamenev ' ' Boukharine, Rykov et Tomski - prirent la parole pour exalter les succès de l'édification du socialisme et exprimer leur repentir pour leur attitude passée. Au moment de ce congrès, « l'autorité du Parti s'était renforcée de manière exceptionnelle » ; c'est ce congrès qui a marqué la « victoire définitive des rapports socialistes dans notre pays ». N. S. Khrouchtchev aurait déclaré à la tribune : « La force du Comité central léniniste réside en ce qu'il savait comment organiser le Parti, comment organiser la classe ouvrière et les kolkhoziens... » Les noms de quelques autres délégués qui parlèrent de ce « monolithisme » du Parti sont cités dans l'intention de les « réhabiliter ». Parmi les personnes mentionnées, on trouve I.A. Zélenski et G.F. Grinko, deux des accusés du procès de Moscou de 1938; mais pas un mot n'est dit du procès lui-même. Kirov est qualifié de « merveilleux léniniste », d' « enfant chéri du Parti tout entier » ( entre parenthèses, ces mots sont employés par Lénine dans son « testament » pour carac4. Pravda, 27 oct. 1961, p. 10, col. 3. 5. L. Chaoumlan : • Au seull des premlen plana quinquennaux· •, Pravda, 1 1 év. t 964. Biblioteca Gino Bianco 297 tériser Boukharine). « Moins d'une année après le XVIIe Congrès, une main criminelle trancha la vie de Kirov ( ...). Il s'agissait d'un crime prémédité et soigneusement préparé dont les circonstances, comme N. S. Khrouchtchev l'a déclaré au XXIIe Congrès, n'ont toujours pas été entièrement élucidées. » Le jugement porté par l'auteur de l'article sur la situation à l'intérieur du Parti lors du XVIIe Congrès rend parfaitement incompréhensible le sort ultérieur du Parti. Dans cette organisation bien soudée et monolithique, investie d'une autorité aussi exceptionnelle, comment se fait-il que - comme l'auteur le reconnaît - 70 % du Comité central, ainsi que 1.108 des 1.966 délégués qui l'avaient élu à l'unanimité, furent par la suite condamnés en tant que traîtres contre-révolutionnaires ? Il est évident que la chose eût été impossible dans des conditions telles qu'on veut bien nous les décrire. Certes, il est indiscutable que le XVIIe Congrès a exprimé l'état d'esprit fait d'allégresse et de soulagement qui régnait alors dans les milieux dirigeants et parmi les activistes du Parti. Mais, derrière cette euphorie, on avait nettement conscience des forces monstrueuses de répression et de terreur qui avaient été engendrées - forces que les activistes eux1n~mes avaient contribué à mettre sur pied et qui cependant, dans un sens, leur étaient étrangères et faisaient peser sur eux une menace. Ainsi s'explique l'ovation faite à Kirov par les délégués, lequel apparaissait au congrès comme le champion éminent de l'autorité du Parti face à la toute-puissance de la police secrète *. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ~ikolaïev avait àgi seul : il n'y avait pas de complot trotskiste - zinoviéviste - boukhariniste. Mais Staline et son état-major n'ignoraient pas qu'il existait à travers tout le pays une extrême amertume et même un commencement de révolte contre leur dictature. Ils savaient que le geste de Nikolaïev était une expression de cet état d'esprit. Il leur fallait, de toute nécessité, se débarrasser de tous les anciens éléments d'opposition dans l'appareil du Parti et de l'Etat, écarter tout individu que l'on pouvait imaginer cristallisant cette humeur en action. Le moment arriva où se permettre un mot de protestation en faveur d'une personne injustement accusée était considéré comme l'indice d'un mauvais esprit 6 • • Voir nota bene en fin d'article. 6. Cf., par ex., le cas de D. A. Lazourklna, membre du Parti depuis 1902, qui passa 17 ans dans les prisons et les camps pour ce • crime •• ln Prarxla, 21 oct. 1963.

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