Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

294 Est-il surprenant dès lors que son credo diplomatique commence par le dogme dit de l'intégration ? L'intégration peut se parer de nobles formules idéalistes dont on ne doute pas qu'elles soient souvent sincères ; mais en fait elle désigne la constitution d'une unité occidentale, politique et militaire, où l'Allemagne, de par la pression et l'aide toute-puissante des Etats-Unis, ne pourrait manquer d'avoir le rôle majeur. Après l'Amérique et en étroit accord avec elle, elle dirigerait la coalition atlantique ; cela vaut bien ·qu'on lui donne enfin le droit à l'armement nucléaire. Au fur et à mesure que se poursuivront les progrès dans ce sens, les réalistes estiment que le problème de la réunification pourra être posé en des termes qui feront réfléchir les Soviétiques, beaucoup plus que les arguments moraux et juridiques. L A ROUTE PARAIT toute tracée, mais la simplicité rectiligne risque de nous abuser. Si la plupart des chefs politiques allemands ne voient pas de salut hors de la tutelle américaine prioritaire combinée avec l'intégration, il en est dont la conscience bourrelée ne peut exorciser le spectre d'un nouveau Ialta et qui s'effraient par conséquent de toute tentative de rapprochement entre Washington et Moscou. La surenchère chinoise est ici un facteur de grande importance ; il se peut qu'elle contraigne !'U.R.S.S., dans l'immédiat, à jouer le jeu de l'intransigeance anti-impérialiste, mais la mollesse même avec laquelle elle le joue permet de penser que, prévoyant peut-être des subversions asiatiques dangereuses pour elle, elle préfère atténuer ou apaiser le conflit latent avec l'Amérique. Voilà qui suffit à faire revivre la tentation ou la hantise d'un duumvirat américano-russe impliquant partage, à l'échelle planétaire, des grandes zones d'influence. Mais en cette hypothèse, qui n'est certes pas absurde, la combinaison atlantico-européenne perdrait toute valeur aux yeux des Etats-Unis, et l'Allemagne ne pourrait plus compter sur leurs faveurs. Même si l'on ne va pas jusqu'au pire, même si l'on n'entend point abandonner un riche protectorat où les investissements en dollars et les participations industrielles ne cessent de s'accro~tre, on sera peu zélé dans le soutien de revendications nationales qui, au centre de la négociation, feront obstacle de toute leur masse. Il est donc très probable que la cause de !'irrédentisme allemand aurait fort à pâtir d'un B.iblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL éventu~l rapprochement américano-russe, d'un retour à la politique de Roosevelt et de « l'oncle J oe ». C'est bien pourquoi certains Allemands qui, chose curieuse, se recrutent surtout dans les milieux de la grande industrie, estiment qu'il ne convient pas de s'en remettre passivement à la bonne volonté du protecteur, que leur pays devrait prendre les devants, pratiquer une tactique bismarckienne de contreassurance, se livrer à des sondages diplomatiques du côté de l'Est et chercher à établir de meilleurs contacts, d'abord par le développement des échanges commerciaux. Leurs conceptions convergent, dans une mesure notable, avec celles du général de Gaulle, foncièrement hostile comme on sait, et pour des raisons qui ne manquent pas de force, à l'idée d'une Europe intégrée. Elle fait, à ses yeux, trop bon marché de notre indépendance ; elle nivelle les vieilles nations au sein d'une construction homogène sur le papier, mais en réalité factice et impuissante; elle aggrave l'affrontement des blocs, avive la méfiance chez les Russes, rejette vers eux Polonais et Tchèques au moment même où ils commencent à tirer sur leurs chaînes. C'est dans un climat de progressive détente, dans une Europe décontractée, libérée de toute hégémonie suspecte, que le problème de la réunification pourrait être loyalement abordé si les nations limitrophes de l'Allemagne se montrent moins ombrageuses à son égard. Inutile de dire que nous en sommes encore bien loin et qu'on ne gagne rien à s'impatienter. Telle serait donc la seule perspective possible d'un assouplissement ou d'un dégel qui suppose longueur de temps et grande virtuosité de manœuvre. Verrons-nous jamais mettre fin au scandaleux paradoxe qui fait que vingt ans après la fin de la guerre le traité de paix avec l'Allemagne est encore hors de toute prévision? Devon~-nous oser dire que ce n'est pas somme toute d'une importance vitale ? Au terme de ce . très sommaire examen, un trait nous frappè : ·la révolution communiste et sa doctrine, les profondes dHiérences de structure et de régime entre l'Allemagne et la Russie, déterminent le cours des événements beaucoup moins que les données classiques de toute escrime diplomatique, de toute guerre froide ou chaude. Ce sont toujours' les sentiments nationaux et les pas":i sions collectives, les rapports de forces, les données économiques ou ethniques qui créent l'équilibre ou le déséquilibre. La fatalité reste polyvalente et l'histoire n'a pas de sens unique. LÉON EMBRY.

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