Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

L. EMBRY apparition en Bavière, à Berlin et dans les ports, que les kérenskistes de la social-démocratie vacillaient sur un sol miné. Mais l'histoire connaît des à-coups et des surprises : quelques jours suffirent pour que, de l'armée qu'on démobilisait, des aventuriers énergiques aient extrait ces corps francs où se préfiguraient les futurs S.S. Deux ou trois mille miliciens résolus, organisés et armés par Noske, détruisirent l'énorme Commune berlinoise; la révolution bolchévique vaincue, ses chefs assassinés ou emprisonnés, la République de Weimar pouvait se donner une structure parlementaire qui témoignait de ses préférences pour l'Occident. Lénine voyait donc s'évanouir son espoir de transporter en Allemagne le foyer de la révolution européenne à laquelle il avait donné l'essor dans son pays ; restait pourtant une suprême chance, liée à l'intervention directe. En 1920, les séquelles de la guerre se traduisaient par la marche de l'Armée rouge sur Varsovie. Nul doute que l'objectif principal consistait, une fois tombé l'écran polonais, à ranimer l'insurrection allemande et d'abord à soulever Berlin ; l'Allemagne ainsi rendue à sa mission bolchévique au moment même où l'Italie glissait sur la même pente, où succombait en Crimée la dernière des armées blanches, quel coup prodigieux, quel tournant du destin ... La débandade devant Varsovie mit fin à ces illusions ; l'application du traité de Versailles érigea le mur constitué par la Pologne et les Etats baltes; la Russie était refoulée vers les steppes orientales, privée de tout contact direct avec la République modérée que les Alliés tenaient à leur merci. De ce moment datent l'abandon provisoire des grands desseins révolutionnaires, le repli vers une politique qui allait se résigner à « construire le socialisme dans un seul pays ». Ce qu'on n'avait pu faire de vive force, il restait à en sauvegarder les chances futures par des méthodes plus prudentes ou plus opportunistes. En 1922, la reprise des relations entre Londres et Moscou, la rentrée par la petite porte et à la faveur de la Conférence de Gênes dans le concert européen, permettent la signature du traité germano-russe de Rapallo. Nouveauté très importante puisqu'elle conduit à l'établissement entre les deux pays de ra,- ports économiques et politiques normaux, réduit à néant le système français du blocus infiigé à la Russie, attire éventuellement l'Allemagne en direction de l'Est, d'autant plus qu'elle va etre rudoyée, bouleversée par l'occupation de la Ruhr et l'effondrement du mark. Le sort va-t-il favoriser les stratèges du KremBiblioteca Gino Bianco 291 lin, préparer la réalisation d'une Europe rapallienne? Les chefs communistes ne saisissent pas les cartes qui leur sont offertes, peut-être parce que la maladie de Lénine déjà les paralyse ; le grand balancier de l'histoire revient sur sa course. C'e!t le capitalisme anglo-saxon qui remporte un succès considérable en imposant, trois ans après Rapallo, la conclusion du traité de Locarno, lequel réconcilie l'Allemagne avec l'Occident et la fait entrer à la S.D.N. Pacifistes et démocrates bourgeois exultent, mais les communistes et leurs amis sont dans la consternation. Romain Rolland, alors rallié à leur cause, traduit leurs inquiétudes en un langage apocalyptique; il voit déjà la Reichswehr, puissamment équipée par la City, reprendre la marche vers Moscou sous le commandement de Ludendorff pour écraser enfin la révolution populaire. Sans aller jusqu'à ces imaginations tragiques, on pouvait croire que l'Etat weimarien, un peu mieux assuré de son équilibre et plus conscient de la marche à suivre, avait définitivement choisi de chercher son centre de gravité du côté de l'Occident. Mais ce qui donnait le plus à réfléchir, c'était le fait que le traité de Locarno, garantie solennelle et volontaire de la nouvelle frontière franco-allemande, ne comportait aucun engagement relatif à celles de l'Est. Russes et Polonais ne pouvaient manquer d'en tirer des conclusions peu rassurantes. ,,*.,,. A PRÈS LOCARNO, l'Europe fiévreuse connaît une brève période d'accalmie et de retour très relatif à la santé, l'histoire des relatio\is germano-russes n'étant plus ici qu'une par~nthèse. Cela s'explique aisément : la barrière polono-balte, surveillée au nord par l'Angleterre, au sud par la France, jouait efficacement son rôle de disjoncteur, Allemagne et U.R.S.S. ayant d'autre part assez à faire chacune chez elle. L'Allemagne démocratique s'accrochait au briandisme, tentait de se faire payer sa bonne volonté par des concessions graduelles, remettait en marche et rajeunissait son équipement industriel grâce aux crédits américains ; la Russie réglait le problème de la succession de Lénine, subissait l'ascension du nouveau maître, voyait s'organiser le despotisme national-communiste de Staline, s'engageait dans l'impitoyable expérience de la collectivisation forcée. Battu ou contenu à peu près partout, le communisme était bien forcé de faire de nécessité vertu, de se concentrer en sa patrie et de réviser sa doctrine en fonction de ses échecs, la révolution mondiale étant ajour-

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