Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

LES RELATIONS GERMANO-SOVIÉTIQ!IES par Léon Etnery 0 N DIT que le vieux Bismarck, retiré en son château de. Varzin, sombrait peu de temps avant sa mort en des accès de mélancolie et pleurait sur la pauvre Allemagne dont l'avenir lui inspirait de très vives inquiétudes. Rien, à cette époque, ne semblait justifier ces noirs pressentiments qu'il serait émouvant d'expliquer par une clairvoyance prophétique. L'homme qui s'était toujours, quoi qu'on dise, montré aussi prudent que résolu, tremblait pour l'œuvre sortie de ses mains puissantes et mettait au premier rang de ses préoccupations politiques la nécessité de ne jamais se brouiller avec la Russie. On s'efforça de tenir compte de ses avertissements, mais la fatalité ou les erreurs tactiques imposèrent finalement à l'Allemagne le combat sur deux fronts. Cela nous permet de comprendre les hantises de la Germanie lorsqu'elle veut penser sa politique à l'égard de Moscou : d'un côté, persistance, héréditaire peut-être, des souvenirs venus des chevaliers teutoniques, attirance de la conquête territoriale à l'Est, mépris raciste pour les Slaves ; de l'autre, vague terreur devant la. masse et l'espace, sentiment d'un infini humain qu'on ne peut pas organiser, d'un réservoir de forces qu'il serait capital de pouvoir utiliser ou du moins neutraliser. Un personnage de Thomas Mann déclare audacieusement que la France c'est la forme vide et la Russie l'élément informe et diluvien, tandis qu'il appartient aux Allemands de réaliser en eux la juste harmonie. Réciproquement, semblablement aussi, les Russes, devant l'Allemagne, hésitent entre le respect que leur inspire sa science de l'organisation, à laquelle ils eurent souvent r~cours, et la crainte de sa pénétration colonisatrice, de son orgueil et de ses visées ; à partir du moment où fut posé clairement le problème de la révolution socialiste s'ajoute l'idée que l'Allemagne était désignée par nombre de conditions matérielles pour en prendre B.iblioteca Gino Bianco la tête et lui apporter la décisive mise de fonds de sori avance technique. Sans doute les rapports entre deux grandes nations sont toujours équivoques, mais nous commençons à voir pourquoi, en notre siècle, l'oscillation est la loi de ceux qui se forment entre Germains et Slaves, sans possibilité d'un choix définitif. TOUT SE CONDENSE en une seule décennie, et c'est alors que, coup sur coup, les options contradictoires défilent comme des possibles. Il est clair d'abord que la guerre et l'invasion de 1.915 frappent à mort le tsarisme; c'est Hindenbourg qui ouvre les voies à Lénine. Incapable de continuer la guerre, la Russie bolchévique tente encore de croire que les occupants se dissoudront dans leur conquête et subiront la contagion révolutionnaire, mais elle voit grandir la menace d'une sécession de l'Ukraine et, pour éviter ce désastre, accepte le diktat de Brest-Litovsk. A ce moment est donc réalisée la première des solutions concevables, la Russie subissant la loi du vainqueur qui s'efforçait de l'exploiter, surtout en sa partie occidentale, en y puisant les denrées nécessaires à son existence et à son combat. 1 Mais ce rapport des forces intervenait trop tard pour que l'Allemagne pût en tirer durable profit ; il ne fallut pas beaucoup plus d'un an pour que sa défaite sur le front occidental renversât complètement la situation, au point que Lénine put croire au bien-fondé de ses calculs et de ses espérances. La forteresse des Hohenzollern s'écroulait peu de temps après celle des Romanov et, tandis que des guerillas confuses se poursuivaient, surtout dans les pays Baltes, la marée communiste montait dans les villes allemandes, menaçant d'emporter les fragiles barrières de l'ordre civil. Il était facile de voir que les événements se répétaient dans des conditions analogues, que les soviets faisaient leur \

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