YVES LÉVY il y a trente ans, a si mal réussi à Pierre Laval - stabilisation à l'intéreur, à l'extérieur renversement des alliances - et où déjà les conseils techniques de M. Rueff jouaient un rôle qui, sur le plan électoral, fut bien décevant pour ceux qui les suivirent. Mais si ses cartes ne sont pas fort bonnes, le chef de l'Etat est comme un grand joueur de poker qui a affaire à de médiocres adversaires, gens désireux de gagner, plus soucieux encore de limiter leurs pertes, gens que leur inquiétude conduit à un jeu contraint et empêche d'envisager la partie dans son ensemble. Ils s'enterrent dans des positions qu'ils espèrent conserver pour y attendre des jours meilleurs, tandis qu'en face d'eux un manœuvrier sans égal montre que l'habileté dans le mouvement permet de mener le jeu de la politique aussi bien que le jeu de la guerre. Supposons que le général de Gaulle soit élu. Dans l'état actuel des choses, il est loin d'être incroyable qu'il puisse enregistrer un échec aux élections législatives de 1967. Croit-on qu'il attendra passivement cette échéance ? Ce ne serait pas- vraisemblable. Ce serait d'autant moins vraisemblable que cette incertitude électorale le contraindrait à prendre en considération les intérêts des différents groupes et à infléchir en conséquence sa politique intérieure et extérieure. Or le chef de l'Etat doit avoir hâte d'être libéré de servitudes de ce genre, qui n'ont peut-être pas joué un médiocre rôle dans certains aspects récents de sa politique. Il suffit d'ailleurs de se reporter à ses conférences de presse pour y trouver clairement l'annonce de nouveaux changements. Le 23 juillet 1964, il disait que « notre République, quand elle aura été confirmée dans sa continuité par l'élection présidentielle, devra proposer au pays cette grande réforme de structure économique et sociale ». Il s'agissait du Conseil économique et social, mais on a déjà dit ici 12 qu'il y a de fortes raisons de penser que la nouvelle réforme constitutionnelle s'étendrait à toutes les assemblées. On remarquait à ce propos qu'il a été question de retirer à l'Assemblée nationale le droit de voter la censure. Les craintes qu'on pouvait avoir à cet égard ont été amplement confirmées par la conférence de presse du 9 septembre dernier. Ecartant définitivement la Constitution de 1958 - si tant est qu'on ait jamais eu connaissance d'elle dans les salons de l'Elysée - le général de Gaulle définissait le régime actuel comme celui de la majorité « qui se dégage de la nation tout entière, s'exprimant en sa masse indivise et 12. Cf. le Contrai ,octal, nov.-déc. UMM,PP• 343-3". Biblioteca Gino Bianco 28S souveraine ». Et après quelques minutes consacrées à expliciter ce thème, le chef de l'Etat parlait du passé : « Sans doute, disait-il, dans le régime d'hier, le peuple était-il appelé périodiquement à élire une Assemblée qui détenait la souveraineté 13 ». Le plus étrange en cette affaire, ce n'est pas que le chef de l'Etat ignore qu'il existe encore aujourd'hui, de l'autre côté de la Seine, une Assemblée élue par le peuple et disposant dù pouvoir de censurer le gouvernement. Non. Le plus étrange, c'est qu'aucun observateur, même ceux qui voient les choses du point de vue de Sirius, n'ait remarqué cette stupéfiante façon d'annoncer que l'Assemblée nationale est déjà comme si elle n'était plus. Cela permet d'augurer qu'au lendemain de l'élection présidentielle, si celle-ci donne le résultat escompté, l'Assemblée nationale cessera constitutionnellement d'exister ou du moins de détenir les pouvoirs que lui accorde la Constitution de 1958. Il n'y aurait alors plus aucun frein au pouvoir présidentiel ni aucune limite, si ce n'est cette limite que représente la fin d'un mandat, et cette autre limite qu'est la mort. En ce qui concerne le mandat, celui qui détient un pouvoir absolu peut bien espérer qu'il sera, au moment voulu, en situation d'en imposer le renouvellement. D'ailleurs le mandat est long, et les partis adverses s'amenuisent dans une attente qui lasse les ambitions impatientes. La mort est plus embarrassante. Elle l'est pour un Bonaparte qui n'a guère dépassé la trentaine, elle l'est, un demi-siècle plus tard, pour un Bonaparte quadragénaire. A plus forte raison l'est-elle pour un homme qui touche au grand â~. Oui, la mort est embarrassante, car sa proximité donne à l'adversaire une espérance qui chaque année grandit. Plus le temps passe et plus l'opposition accroît sa pression, sentant venir le moment de la revanche. Aussi les Bonapartes, avant même de s'asseoir sur un trône, se font-ils attribuer le droit de désigner leur successeur. C'est l'équivalent de l'antique méthode de l'adoption qui donna à Rome plusieurs de ses empereurs. Le général de Gaulle nommera-t-il un dauphin ? Certains le souhaitent. S'il le faisait, il aurait fondé une nouvelle monarchieplébiscitaire. 13. Cette phrase commence un alinéa qui traite d'un point très Important. La Charte de la Restauration quallftalt la chambre basse de • chambre des députés des départements •· La Constltutlon de 1848, en son article 34, énonce : • Les membres de r Assemblée nationale sont les reprisentants. non du département qui les nomme, mals de la Fran ce entière.• Dana Je passage dont nous parlons, le chef de l'Etat adopte le point de vue de la Restauration, et en fat t la th6orte.
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