Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

284 ce rôle, et non celui de gardien de la Constitution. Une place de gardien, avec mission ·d' « inaugurer les chrysanthèmes », ce n'est pas un rôle à sa taille, certes. Mais qui l'obligeait à la prendre ? Quoi qu'il en soit le général de Gaulle veut gouverner, et cela a reporté sur lui le souci normalement dévolu au premier ministre : avoir ou former une majorité parlementaire, et la conserver. C'est de là qu'il faut partir pour interpréter les propos qu'on rappelait aux premières lignes de cette étude. Le général de Gaulle a raison. Si le suffrage universel le renvoie à Colombey, personne ne pourra, à l'Elysée, tenir le rôle qui est actuellement le sien. La raison en est à la fois parfaitement simple et parfaitement évidente : aucun autre président n'aurait la moindre chance, en dissolvant l'Assemblée et en provoquant de nouvelles élections, de trouver dans la nouvelle Assemblée une majorité à sa dévolution. Si cet autre président prenait_parti au cours de la période électorale, il risquerait de se trouver dans la situation de Mac-Mahon en 1877, voire de Millerand en 1924. Dans le meilleur des cas, il pourrait nommer un premier ministre qui serait chef d'une coalition. Mais par là même, le premier ministre serait bientôt contraint de tenir plus de compte des diverses tendances de 'la coalition que des désirs du président. L'hôte de l'Elysée s'effacerait peu à peu, et l'échiquier parlementaire reprendrait toute son importance. On serait revenu à la IVe République, à la IIIe République, aux premières années du règne de Louis-Philippe. A la seule différence qu'en cas de crise grave, le président disposerait - ce qui n'était le cas d'aucun de ses prédécesseurs des régimes antérieurs - des pouvoirs exceptionnels de l'article 16. Le général de Gaulle a rais.on : ce serait un retour au passé, au parlementarisme de la tradition française. Vers la dictature SI c'EST L'ACTUELPIŒSIDENTqui est élu au suffrage universel, il en ira tout autrement. Le chef de l'Etat, en 1962, a dissous l'Assemblée qui s'opposait à lui, et dans l'Assemblée actuelle une coalition majoritaire le soutient, semble-t-il, inconditionnellement. Il lui sera ·donc loisible, s'il est élu, de continuer à diriger personnellement la politique intérieure et extérieure de la France. Du moins tant qu'il conservera sa majorité, c'est-à-dire, vraisemblablement, tant que durera l'actuelle Assemblée. Pendant vingt-trois mois. Mais après, que se . passera-t-il? Les chances de voir se reproduire le miracle de 1962 semblent minces. Il y a trois ans, les candidats du chef de l;Etat n'ont Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL recueilli que le tiers des voix exprimées. Encore était-ce ·grâce à l'abstention de deux millions d'électeurs à qui les partis d'opposition avaient oublié de proposer des candidats. La chose, à vrai 'dire, peut se revoir : le ministre de l'Intérieur ne vient-il pas d'être élu avec les voix du quart des électeurs, sans que les partis républi- · cains aient songé à lui opposer un seul adversaire ? On peut certes gloser sur la « dépolitisation ». Mais que peut faire le citoyen ami de la liberté, lorsqu'au bazar électoral il ne trouve que l'homme du président entre des totalitaires de l'extrême gauche et de l'extrême droite ? La mort dans l'âme, il s'abstient. Il est fort possible que le 5 décembre, le général de Gaulle bénéficie du même phénomène. Au moment qu'on écrit ces lignes, il n'y a encore en lice pour le scrutin présidentiel, outre un sénateur peu connu, qu'un candidat approuvé par l'extrême gauche et un autre qu'il faut classer à l'extrême droite. On dira que, soutenu par les communistes, M. Mitterrand n'a pas partie liée avec eux. Sans doute. Mais il est certain qu'un grand nombre d'électeurs se refusera à voter pour un candidat qui jouit de l'agrément du parti communiste. On dira que ceux-là peuvent voter pour M.· Marcilhacy. Sans doute. Mais il est certain que la plupart des électeurs hésitent à voter pour un homme qu'ils ne connaissent pas, à moins (ce qui n'est pas le cas) qu'il n'ait l'aval des partis traditionnels auxquels ils font confiance. En fait, les hommes de la IVe République pouvaient triompher à peu près à coup sûr du chef de la ve : il fallait seulement que chaque parti de quelque importance mît sur les rangs un de ses dirigeants, il fallait opposer ouvertement l'ancien système à celui du président. Par là même, le président était englué dans le système français traditionnel, il devenait un chef de parti parmi les autres, et il recueillait la fraction des voix de droite qui est allée à ses candidats en 1962. Dans la confusion actuelle, il bénéficiera de l'abstention d'un bon nombre d'adversaires, et il verra même un grand nombre de voix se porter sur lui par la seule crainte de voir, directe!llent ou indirectement, triompher l'extrémisme. Le général de Gaulle, donc, a une bonne chance de l'emporter en décembre. Les cartes qu'il a en·main, certes, ne sont pas très bonnes. Il a coup sur coup, en 1962, gagné deux parties importantes, mais bien qu'il vînt de mettre fin à la guerre d'Algérie, ce fut un succès sans ampleur. Depuis, son prestige n'a sans doute pas crû. A l'intérieur comme à l'extérieur, il a suivi une politique assez analogue à celle qui,

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