282 gilité des majorités apparut comme le mal majeur du système. Sous la présidence du maréchal de Mac-Mahon, on compta neuf ministères successifs. Sous la présidence de Jules Grévy, le premier gouvernement fut celui de Waddington, et Hanotaux remarque, à l'occasion de sa chute, que sa faiblesse tenait aux « compétitions ardentes du parti républicain, compétitions de principes et surtout compétitions de personnes ». Il notait à ce propos que la majorité républicaine était trop nombreuse pour rester unie, et qu'à cette époque il y avait toujours une fraction de la majorité pour s'unir à la minorité monarchique afin de renverser le ministère 7 • Après quoi la majorité se ressoudait pour, pendant quelques semaines ou quel- . . . . ' ques mois, soutenir un nouveau mmistere. Sous la présidence de Grévy, il y eut douze ministères, dirigés par neuf présidents du conseil différents. Sous Carnot, dix ministères et sept présidents du conseil. Sous CasimirPérier, un seul, mais le président luimême ne dura guère plus de. six mois. Sous Félix Faure, qui mourut au bout de quatre ans, cinq ministères _et cinq présidents du conseil. Loubet fut le seul président à ignorer presque entièrement les crises ministérielles, et c'est là la suite la plus remarquable de l'affaire Dreyfus : on procédait à la laïcisation complète de l'Etat, et l'on eût tenu pour trahison ce qui n'était auparavant que le signe d'une divergence d'intérêts ou d'opinion. Après cette pause, le carrousel ministériel recommença, et s'aggrava même un peu : il y eût quinze ministères (mais seulement huit présidents du conseil) pendant le septennat de Doumergue, plus encore au temps d'Albert Lebrun 8 • Sous Vincent Auriol comme sous Coty, la quatrième République offrira des chiffres comparables 9 • La situation parlementaire des gouvernements n'a jamais cessé d'être celle que décrivait Hanotaux au commencement du siècle. Les partis changeaient, mais le jeu des hommes et des partis ne variait guère. On ne s'est pas privé, en tout temps, de gémir de cette situation, mais comme il n'est pas à la portée des hommes d'Etat de changer la nature humaine ni les lois sociologiques des groupements humains, les gens lucides n'ont cessé de chercher le remède. A commencer par Gambetta qui, dès qu'il devient président du conseil, propose de démocratiser le corps électoral du Sénat, et surtout 7. G. Hanotaux, op. cif., IV, pp. 514-515. 8. Seize ministères et dix présidents du conseil pendant son septennat, puis deux autres ministères après sa réélection. 9. Sous la présidence de Vincent Auriol, quatorze ministères et dix présidents du conseil. Sous la présidence de Coty, abrégée par la fin du régime, huit ministères, huit présidents du conseil, le dernier étant Charles de Gaulle. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL d'inscrire dans la Constitution que les députés · seront élus au scrutin de liste. Ce mode de scrutin avait été explicitement exclu par la Constitution de 1852, pour une raison assez évidente : il favorise la lutte des idées, des partis, et le prince-président voulait éteindre les partis, il lui fallait des députés qui n'aient point d'idées, mais des intérêts. Si Gambetta veut rétablir le scrutin de liste, c'est qu'il lui semble qu'il permettra à un chef politique· de son prestige et de son autorité. d'obtenir une majorité cohérente où l'intérêt personnel ne jouera plus qu'un rôle secondaire. Alors pourra se former « un gouvernement digne de ce nom ». Les adversaires de Gambetta ne pensaient pas autrement que lui : ils l'accusèrent d'aspirer à la dictature et n'eurent aucun mal à rassembler une majorité contre lui. D'autres depuis ont cru, eux aussi, qu'un changement dans le mode de scrutin transformerait la Chambre des députés, et l'on a essayé plusieurs formules, y compris le scrutin de liste, mais cela n'a jamais donné les résultats escomptés. On peut être tenté de penser que la raison de cet échec, c'est qu'on n'a pas encore trouvé le mode de scrutin efficace, ou du moins qu'on n'a pas voulu en faire l'essai : chacun ·sait que le scrutin utilisé en Angleterre a, pour quelque ., . . . , . mysterieuse raison, touJours passe pour mapplicable en France, bien qu'il soit certain qu'il assure à lui seul la durée des gouvernements anglais. Quoi qu'il en soit, on a, à tort ou à raison, jugé que la faculté d'élire des majorités n'était pas une question de structures institutionnelles, mais dépendait de cet être métaphysique qu'on appelle le tempérament national 10 • En conséquence, il fallait envisager soit de relâcher le lien qui enchaîne le ministère à la majorité parlementaire, soit de rompre ce lien complètement. Dans les derniers temps de la quatrième République, on songe~it à faire usage de la ·première méthode, de façon que le gouvernement cessât de vivre au jour le jour, de dépendre en permanence et immédiatement d'une majorité toujours instable. La Constitution de la cinquième République vint combler les vœux de la quatrième Répub~que finissante, allant même fort au-delà des projets du précédent régime. Les nouveaux rapports créés en 1958 entre les pouvoirs publics dispensent-ils désormais le ministère d'être constamment à la recherche d'une· majorité ? Il n'est pas aisé d'en décider, car les institutions de 1958 n'ont 10. Il serait intéressant de savoir si, pour les experts en tempéraments nationaux, les élections à l'unanimité relèvent elles aussi de la psychologie ethnique.
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