Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

YVES LÉVY forte amende. Il est vrai qu'il y écrivait que le plus ancien de tous les partis, « c'est l'alliance vieille comme le monde de la démagogie et du despotisme » et autres gentillesses que les magistrats - la servilité étant, semble-t-il, depuis que la vénalité est abolie, de règle dans leur profession - se devaient de sanctionner. Prévost-Paradol y discutait aussi une accusation nouvelle : les adversaires de l'Empire s'étant rapprochés les uns des autres, le pouvoir et ses agents commençaient à dénoncer « la coalition des anciens partis ». Mais, disait Prévost-Paradol, si les partisans de l'ordre ont fait abstraction de leurs divergences parce que le principe d'autorité les unit, « pourquoi le principe de liberté ne jouirait-il pas du même privilège » ;> Cet argument est fort. On sait assez la réponse du pouvoir, qui ne varie guère : s'unir pour construire, c'est le bien, pour détruire, c'est le mal. Et le dialogue se poursuit, car pour les uns la liberté est un bien, pour les autres elle n'est un bien que si elle est au service de l'ordre. Ce dialogue n'a pas de fin, du moins sur ce plan-là. En fait, ce serait le moment d'entrer dans une discussion technique, d'examiner comment d'une liberté bien réglée peut sourdre une harmonie générale. Mais en cette matière (comme en bien d'autres), les connaissances techniques sont fort méprisées, et l'on voit encore chaque jour des gens graves déraisonner à grand renfort de faits historiques controuvés, s'imaginant que la politique. ne relève que d'un bon sens armé de quelques grands principes. Précisément, l'empereur avait, vers l'an 1843, quand il était emprisonné à Ham, donné au Progrès du Pas-de-Calais divers articles qui le montraient soucieux des ressorts du parlementarisme. Partie de son propre mouvement, partie sous la pression des circonstances, il rétablit par degrés les conditions d'un régime parlementaire, et la dernière année de son règne - volte-face inconcevable de la part de Charles X ou de Louis-Philippe - il prit pour chef du gouvernement un des anciens adversaires du régime. Nombreux cependant étaient les « irréconciliables », mais peut-être, si le régime avait duré, leur nombre fût-il allé décroissant. Et qui sait jusqu'où eût pu aller, dans le respect de la règle du jeu, un souverain qui de longue main avait avec des socialistes les relations que l'on connaît - relations qui, au temps du siège et même sous la Commune, incit~rentles jacobins à soupçonner les membres de l'Internationale de n'avoir pas été ennemis décidésde l'Empire, de n'etre pas farouches partisans de la République. Biblioteca Gino Bianco La République parlementaire et les majorités évanescentes 281 SEDANpouvait tout remettre en question. Mais l'Assemblée nationale s'attarda longtemps dans le provisoire, sans se résoudre à donner à la France un régime définitif. Or ce provisoire, c'était un parlementarisme pur : en l'absence de tout texte constitutionnel, l'Assemblée était absolument souveraine. Lorsque enfin elle vota des lois constitutionnelles, celles-ci mirent en forme la pratique parlementaire qui s'était établie d'elle-même. La seule précaution contre les entraînements du suffrage universel, ce fut l'organisation d'un Sénat composé pour un quart de membres inamovibles désignés par l'Assemblée nationale, pour le reste de représentants d'un corps électoral restreint qui, dans sa majorité, appartenait aux communes rurales. On ne redira pas ici la tentative de MacMahon : dès le commencement du nouveau régime, elle démontra que, si l'on respectait la Constitution, il était vain de s'opposer à la primauté parlementaire. C'est ce que, dès son premier acte officiel, reconnut son successeur : « Soumis avec sincérité, disait Jules Grévy dans son message aux chambres, à la grande loi du _régimeparlementaire, je n'entrerai jamais en lutte avec la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. » Certains pensèrent après coup que l'élection de Grévy était une faute, qu'un homme disposé à assumer des responsabilités aurait pu faire de la fonction présidentielle l'âme de la République. « L'homme digne d'être le chef d'une République peut faire preuve d'activité sans avoir l'âme d'un usurpateur », écrivait Gabriel Hanotaux qui, estip}ant qu'il eût fallu à l'Elysée « une âme popltilaire », « une intelligence athénienne », « un cœur vibrant, ardent et généreux », regrettait que la candidature de Grévy eût écarté celle de Gambetta 6 • Mais sans doute Hanotaux se trompait-il : le système eût joué contre Gambetta comme il avait joué contre Mac-Mahon, et en fait il jouait déjà contre Gambetta lorsque la candidature d'un homme rassis et sans éclat l'empêchait de poser la sienne. La présidence de la République était constitutionnellement impuissante, et rien ne pouvait y remédier sans atteinte à la Constitution. Le problème était ailleurs. Puisque le régime était fondamentalement parlementaire, le problème était de former une majorité parlementaire. Or dès l'origine, la fra6. Hanotaux : Hutoin de la France contemporaine, tome IV, Paris 1908, pp. '39 et 441. ,

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