Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

280 ·coalitions et des coteries, sont incapables de se diriger elles-mêmes, à plus forte raison de diriger le pouvoir central, qu'elles mènent infailliblement à l'abîme. » D'où la règle : « Le pouvoir législatif examine, discute, contrôle, modère, mais ne dirige pas. » Tels sont les principes, où l'on reconnaîtra aisément des propos que nos oreilles ont entendus. Si les gens qui regardent l'histoire de loin distinguent aisément les siècles et observent de grands changements, lorsqu'on met le nez sur la trame, ce que l'on remarque surtout, c'est la surprenante monotonie de l'histoire. Mais revenons aux principes. Il fallait les àppliquer. Sous Napoléon Ier tout était simple, car les assemblées dépendaient en fait de l'empereur. Le suffrage universel, c'est autre chose. Pour éviter un conflit entre le chef de l'Etat et le corps législatif, il convenait ou bien de limiter étroitement les attributions de cet organisme, ou bien d'agir de façon que ses membres fussent dévoués au président, à l'empereur. On fit l'un et l'autre : dès le commencement du régime, bien avant la proclamation de l'Empire, Montalembert se plaignait que le Corps législatif ne fût qu'une manière de grand Conseil général - le mot fit fortune - et d'autre part, les membres ·de cette assemblée sans vocation politique, dans leur quasi-totalité, avaient été choisis par le gouvernement luimême, qui les avait désignés à la population par la candidature officielle, et favorisés d'une intense pression administrative. A la vérité, tout cela manquait un peu de cohérence. A la candidature officielle, à la pression administrative ne se marie pas bien le suffrage universel au scrutin secret. A de rares exceptions près, les candidats officiels doivent leur élection à leurs bons rapports avec le pouvoir, non à leur autorité auprès des électeurs. De sorte que s'ils sont battus, c'est une défaite du régime, mais s'ils sont élus, on n'a qu'une assemblée sans racines dans le pays, et qui n'est pas pour le régime un plus ferme rempart que ne fut, pour Louis-Philippe, sa dernière Chambre des députés. Cette incohérence, on l'a dit, pouvait venir des circonstances, mais elle se retrouve aussi dans les idées de Napoléon III, qui était vraisemblablement partagé entre deux traditions. L'une, celle du général Bonaparte, s'imposa tout naturellement au moment que s'offrit à LouisNapoléon l'occasion d'arriver au pouvoir. Mais auparavant, le prince avait été sensible à la longue durée des institutions britanniques, à la régularité de la vie politique anglaise. Lorsque dans ses Fragmens historiques (en 1841) il Biblioteca Gino Bianco / LE CONTRAT SOCIAL soutenait que les doctrinaires avaient tort de mettre en parallèle la révolution de 1830 et celle de 1688, et s'efforçait d'établir que la politique de Louis-Philippe avait plus d'affinités avec celle de la restauration anglaise de 1660 qu'avec celle qui avait suivi la glorieuse révolution .de 1688, il fallait comprendre qu'il espérait donner, lui, un. jour, à la France, un équivalent véritable de la révolution de 1688. D'ailleurs dans les années qui suivirent, ·il lui arriva de reprocher à la monarchie de Juillet de ne pas emprunter à l'Angleterre tel ou tel détail de la vie parlementaire anglaise. Evidemment l'inspiration parlementaire risquait d'être totalement ensevelie par les violences du Deux-Décembre. Le coup d'Etat contraignait Louis-Napoléon à s'appuyer sur les partisans de la manière forte, et il dressait contre lui les tenants du parlementarisme. Cependant, à peine plus d'une année s'était écoulée lorsqu'il s'efforça de définir ce qui, vraisemblablement, était pour lui le trait essentiel du régime : son caractère évolutif. Ouvrant Je 14 février la session législative de 1853 - l'Empire venait d'être proclamé, l'autorité du nouveau souverain était encore intacte - il rappela tout ce qu'il avait fait, alors qu'il y avait « quatorze mois à peine, le pays était livré au hasard de l'anarchie ». Puis il ajoutait : « A ceux qui regretteraient qu'une part plus large n'ait pas été faite à la liberté, je répondrais : La liberté n'a jamais aidé à fonder d'édifice politique durable : elle le couronne quand le temps l'a consolidé. » Au cours .des années qui suivirent, ses adversaires ne manquèrent pas de lui rappeler ce « couronnement de l'édifice » qui se faisait trop attendre. Mais comment progresser dans cette voie lorsqu' « il reste toujours des individus. incorrigibles qui ( ...) s'obstinent à ne tenir aucun compte de la volonté nationale, nient impudemment la réalité des faits, et, au milieu d'une mer qui s'apaise chaque jour davantage, appellent des tempêtes qui les engloutiraient les premiers ». On voit que l'époque était plus métaphorique que la nôtre, car cette « mer qui s'apaise » est devenue la « dépolitisation ». On ne saurait dire que nous y ayons gagné. Revenons à l'empereur. Il est à peine besoin de préciser qu'après cette attaque contre les « incorrigibles », il s'en prenait aux « menées occultes des partis ». Avec le temps, « les partis » devinrent « les anciens partis », ceux qui avaient la nostalgie de quelque régime antérieur. Sept ans plus tard, en 1860, Prévost-Paradol donnait cette expression pour titre à une brochure étincelante, qui lui valut un mois de prison et une

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