Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

278 fier son discours d'extravagant 8 • Mais pourquoi ce qui semble extravagant aujourd'hui n'a-t-il pas paru tel à ses collègues républicains? C'est , . , . , , prec1sement parce que ces propos avaient ete précédés d'un exposé d'une exceptionnelle lucidité. Parmi des gens qui examinaient les principes, le droit, ou envisageaient des situations théoriques, Lamartine se lève, et aussitôt, en l'écoutant, on sort de la confusion, tout devient clair. Il peint la situation telle qu'elle est, il montre qu'il ne s'agit pas de principes et de théorie, mais de -sauver un régime qui semble déjà conda~né. Il ne dit pas qu'en soi, l'élection du président au suffrage universel soit une bonne chose. Loin de dissimuler le danger de ce procédé, il le met en évidence, et il ose nommer le péril par son nom. Le risque est évident, mais c'est un risque qu'il faut courir, pense Lamartine, convaincu que c'est là, pour le régime, la seule chance de salut. Il est d'ailleurs· permis de penser qu'il se trompait, qu'il n'y avait point de_salut possible pour la Répu~ blique, et qu'il valait mieux écarter le péril du despotisme que de chercher à sauver ce qui devait périr. Mais on ne croyait guère, alors, que le prince Louis-Napoléon eût l'étoffe d'un empereur. On le croyait si peu que le parti de l'ordre, faute de pouvoir avec assez de chances de succès présenter un candidat de son cru, jugea politique de soutenir la cause de cet homme au nom prestigieux, de qui la personnalité semblait assez falote, et telle qu'on pût espérer de le ' . manœuvrer a sa guise. 1 • 1 . 'i .-:. 1' . 1 Le prince-président contre la majorité LE PRINCE FUT ÉLU. Et l'on distingue d'ordinaire, dans sa présidence, deux périodes. La première - serait celle du gouvernement parlementaire, la seconde celle du gouvernement personnel. Ces termes sont trompeurs, car il faut seulement comprendre que le président, d'abord, eut un ministère formé de parlementaires, puis un ministère formé de gens à lui. Son ministère de parlementaires était pris dans le parti de l'ordre, c'est-à-dire dans la minorité de l'Assemblée constituante, et pendant cinq mois le président garda son ministère en dépit 3. Paul Bastid : Doctrines et institutions politiques de la seconde République, II, 113. Dans son Histoire de la Révolution de 1848, tome I (28 éd., 1878, p. 493), Victor Pierre écrit que le discours de Lamartine « échappe à l'analyse •· Deslandres reproduit ce reproche (Histoire constitutionnelle de la France, Il, 386). Son de c1oche analogue chez Bouniols (Histoire de la révolution de 1848, Paris 1918, pp. 385-386). Quant à Quentin-Bauchard (Lamartine homme politique, Paris 1903, p. 387) il voit, dans ce discours, Lamartine se détourner du réel pour s'attacher à l'idée, au principe. • Je ne sais pas, écrivait Rousseau, l'art d'être clair pour qui ne veut pas être attentif. • Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT- SOCIAL ., des votes de cette assemblée, ce qui semble · très peu conforme à l'esprit du parlementarisme. Mais c'était conforme à la Constitution, qui énonçait le dogme de la séparation des pouvoirs et ne formulait pas clairement la responsabilité politique des ministres 4 • Lorsque la première Assemblée céda la place à une nouvelle, où dominaient orléanistes et légitimistes, le prince-président conserva son ministère encore cinq mois, puis le congédia alors qu'il n'avait pas cessé d'avoir la confiance de la nouvelle Assemblée. Il est donc assez clair qu'à aucun moment Louis-Napoléon ne se sentit tenu de gouverner en harmonie avec la majorité de l'Assemblée, et il est non moins clair que la Constitution le lui permettait, puisqu'elle mettait tout le gouvernement entre les mains du président, et n'accordait à l'Assemblée aucun pouvoir de contrôle : à de minimes exceptions près, la compétence de celle-ci ne s'étendait qu'au vote des lois. On- remarque en revanche qu'au temps de ce qu'on nomme le « gouvernement personnel », l'Assemblée émit contre le ministère un vote de défiance caractérisé, et que le ministère démissionna. La seconde République, en cette occasion, avait donc fonctionné comme un régime parlementaire, et c'est sans doute pou~- quoi le président, dans la proclamation du coup d'Etat, indiqua que la Constitution qu'il rédigerait prévoirait « des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul ». Il devait être clair que le pouvoir tout entier appartenait au président plébiscité, et qu'aucune assemblée ne devait avoir qualité pour le censurer. En fait, c'est déjà ce principe qu'il appliquait sous le régime de la Constitution de 1848. Il ne cherchait nullement une majorité : il cherchait le conflit. La Constitution limitait à trois ans et cinq mois son séjour à l'Elysée (car, sauf cas de force majeure, l'élection présidentielle avait lieu au mois de mai) sans qu'il pût se faire réélire. Il fallait donc qu'avant le terme fixé un désaccord éclatant divisât les pouvoirs publics, de façon à justifier le coup d'Etat. La 4. La responsabilité définie par la Constitution de 1848 semble être pénale, et non politique, car l'article sur la responsabilité des ministres traite aussi de celle du président de la République et mentionne la Haute Cour et les conditions de la poursuite. Dans le projet de Marrast, le caractère pénal de la responsabilité des ministres était plus évident. encore. Le rapport préliminaire éclaire la question : Marrast pensait que l'Assemblée pouvait renverser le ministère, et que si le président s'obstinait à braver une Assemblée qu'il ne pouvait dissoudre, celle-ci le mettrait en accusation. On voit qu'il était incapable de distinguer la responsabilité politique de la culpabilité. C'est qu'il envisageait les choses du point de vue de l'opposition des pouvoirs, et non de leur harmonie. A la vérité, soixante ans d'histoire de France donnaient le sentiment qu'il fallait accepter des pouvoirs séparés destinés à devenir _rivaux, ou se résigner à un régime d'assemblée semblable à la Convention, - c'est-à-d~re se résigner à la terreur.

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