Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

276 commentaires qu'on lit aujourd'hui dans les quotidiens politiques. Et l'analogie se poursuit : ceux-là, dit Duvergier de Hauranne, sont « disposés aux transactions, souvent nécessaires dans la pratique du gouvernement parlem~ntaire », mais ceux-ci ne veulent point de transactions, car elles consolideraient le régime dont ils souhaitent la ruine 1 • Dès 1819, la France off:cele portrait de la France actuelle, et nous imaginons que si l'on sortait de l'enceinte parlementaire, on identifierait aisément, dans les sociétés secrètes en formation, les multiples tendance:.; qui coexistent aujourd'hui dans le P.S.U. Former une majorité, la maintenir, éternel problème pour les gouvernants, qui tantôt usent de la force, tantôt de la négociation, tantôt de la ruse, selon leur tempérament, mais aussi selon les facilités et les ouvertures que leur offrent les textes constitutionnels. On ne fera pas ici une histoire suivie de la façon dont les divers régimes se sont efforcés de rallier la majorité des représentants du pays -.- ce serait récrire toute l'histoire de France - mais on rappellera certains moment~ importants, certains aspects caractéristiques de cette tâche qui n'a pas de fin. Comment la monarchie censitaire forgeait des majorités Aux DERNIERS JOURS de la Restauration, on l'a dit, Charles X tenta de remanier le corps électoral. Il reprenait ainsi une manœuvre qui avait donné de bons résultats : en 1820 la loi du double vote -· qui accroissait, dans les élections, le poids des gros contribuables - donna naissance à une écrasante majorité ultra, dont le chef, Villèle, demeura au pouvoir plus de six ans. ·Mais l'inconvénient des trop belles majorités, c'est qu'elles se divisent, ce qui empêche le gouvernement d'agir et désoriente le corps électoral. Villèle en éprouva les conséquences : il dut dissoudre la Chambre, et il perdit les élections. On sait que cette défaite n'incita pas longtemps le roi à changer de politique. Sans doute pensait-il que l'élimination des électeurs dangereux suffirait à rétablir la situation. Et puisque c'était ·le montant de l'impôt qui faisait l'électeur, on s'efforçait de réduire les impôts des opposants. On en trouve un témoignage curieux dans une lettre - vraisemblablement inédite - par où Benjamin Constant, le 18 janvier 1830, signale à son percepteur qu'il a négligé de lui réclamer une 1. Duvergier de Hauranne : Histoire du gouvernement parlementaire en France, tome V, Paris 1862, pp. 7 à 9. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL partie de son dû ·: « Monsieur, lui écrit-il, je ne trouve pas comme les autres années la cote de ma contribution personnelle jointe à celle de ma contribution foncière de la rue d'Anjou. Je prends la liberté de vous prier de me l'envoyer. » En ce temps-là, on le voit, il pouvait être malaisé de payer ses impôts. Les ordonnances de_juillet allaient dans le même sens, non qu'elles supprimassent des impôts, mais elles décidaient que les patentes ne seraient plus comptées pour le cens, et renforçaient encore le rôle des électeurs les plus riches dans' les collèges électoraux. Comme on n'eut pas l'occasion d'expérimenter ces nouvelles dispositions, on ne peut savoir si elles auraient assuré la stabilité des gouvernements. La monarchie de Juillet eut d'abord plus de mal encore que la Restauration à faire durer ses ministères. Dans les dix premières années du règne de Louis-Philippe, quatorze gouvernements se succédèrent. De cette instabilité on parlait déjà avec l'ironie désabusée dont on usa plus tard, sous la IIIe République. Un mot de Victor Hugo le montre assez. Le 7 février 1840 la fille de Villemain, qui avait six ans, parla à Adèle Hugo, qui en avait dix, de l'hôtel où elle vivait avec sa famille, et de son beau jardin. « Tu viendras m'y voir, dit-elle, n'est-ce pas, quand il fera beau et qu'il y aura des fleurs ? » Puis ~lle s'interrompit : « Oui, mais ' ,... l , , nous n y serons peut-etre pus, cet ete ... » Notant le mot de la petite :6.lle, Victor Hugo ajoutait : « Cette enfant sait déjà qu'un ministre dure trois mois 2 • » L'hôtel dont il s'agissait, en effet, c'était le ministère de !'Instruction publique. Le pressentiment de Mademoiselle Villemain se vérifia : trois semaines plus tard, il fallut déménager. Mais à l'automne~ M. Villemain se réinstallait dans le bureau du grand maître de l'Université, et pour longtemps : il faisait partie de .ce ministère qui, dirigé par Guizot, du"ra plus de sept ans, c'est-à-dire phis longtemps qu'aucun autre ministère français depuis la Révolution de 1789 jusqu'aujourd'hui. Corn2. Victor Hugo : Œuvres politiques complètes, œuvres diverses, réunies et présentées par Francis Bouvet, Paris, J.-J. Pauvert édit., 1964, p. 1120. Signalons ici l'intérêt considérable de ce volume, où l'éditeur a rassemblé, dans l'ordre chronologique, toutes les œuvres politiques et tous les écrits intimes d'Hugo qui ont été publiés (et même un court inédit). Réunion d'autant plus précieuse que nombreux et importants sont les écrits qui ont vu le jour depuis la précédente édition des œuvres complètes de Victor Hugo. Ce volume, en effet, bien que dépourvu de tomaison, est le quatrième et dernier d'une édition collective que Francis Bouvet s'est efforcé de faire exhaustive, composant en outre une ample ·chronologie et ajoutant des notes bibliographiques. Les trois premiers volumes comprennent les Œuvres poétiques complètes, les Œuvres romanesques complètes, (y compris la première version des Misérables), les Œuvres dramatiques et critiques complètes.

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