Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

274 de la Charte, et que Paris répondit en élevant des barricades. En 1965, il n'y a nul conflit entre les députés et le ministère, et d'ailleurs les députés ni le ministère n'interviennent en rien dans l'élection présidentielle. Cependant, à bien voir les choses, il existe une analogie entre notre époque et celle de la révolution de Juillet. En juillet 1830, le ministère n'était que l'instrument du roi, et c'est le roi qui, pour se convaincre de ses droits, ouvrit son exemplaire personnel de la Charte à l'article 14. En face du roi, au moment des ordonnances de juillet, on ne peut dire qu'il y ait une Chambre des députés : les députés viennent d'être élus, mais ils ne sont pas encore réunis, ils ne forment pas encore une assemblée. L'adversaire de Charles X, ce n'est pas une Chambre des députés qui n'existe pas encore : c'est le corps électoral qui vient d'exprimer ouvertement son hostilité à la façon dont le roi conçoit -sa fonction. Aussi les ordonnances n'annulent-elles pas seulement les élections : elles créent aussi un corps électoral nouveau, sensiblement plus restreint que le précédent, et obéissant à des règles nouvelles. Le conflit véritable est entre le roi et le corps électoral, que le roi se croit en mesure de détruire. A quoi il parviendrait sans doute si, pour des raisons qu'il n'est pas nécessaire d'examiner ici, la population parisienne - c'est-à-dire une masse · de gens dépourvus de droits politiques - n'intervenait de façon décisive en faveur de ses adversaires. Quand la bataille se termine, la Charte subit quelques petits changements, le plus notable consistant à retirer au roi le droit de veiller à la sûreté de l'Etat, et à confier l'ordre constitutionnel « a~ patriotisme et au courage des gardes nationales et de tous les citoyens français ». Et surtout, un nouveau roi remplace celui qui tirait de la loi salique une légitimité presque millénaire. Lorsque le 5 décembre 1.965 le général de Gaulle affrontera pour la première fois le suffrage universel, il se trouve~a comme Charles X face à face avec le corps électoral. Il y aura d'autres candidats. Et « le pays dira » quel régime lui agrée. Cette affirmation du général de Gaulle ne peut s'entendre que d'une seule façon : voter pour lui, ce sera accepter l'ordre nouveau, - voter pour quelque autre candidat que ce soit, ce sera revenir aux « pratiques du passé ». En quelque sorte, la charte constitutionnelle demeurant la même, le pays votera, dans le premier cas pour un émule de Charles X, pour un partisan décidé de la prérogative sinon royale, du moins présidentielle, dans BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL le second cas pour une manière de Louis-Philippe contraint d'obtenir, avant d'agir, l'approbation des représentants du pays. Cette alternative est-elle réellement contenue dans la · Constitution actuelle de la France ? C'est là le . ' . point a examiner. Gouvernement et majorité LA CONSTITUTIONde la IIIe République avait des défauts auxquels ont avait mainte fois proposé de remédier. Celle de la IVe ·présentait des inconvénients semblables, et au moment où le régime s'effondra, l'Assemblée avait commencé à examiner un important projet de réforme. Les rédacteurs de la Constitution de 1958 ne laissèrent pas de tenir compte des réflexions et des projets nés sous le système précédent, et qui tendaient essentiellement à donner à l'action gouvernementale plus d'énergie et de continuité. La durée des sessions fut limitée, le domaine de la loi restreint, l'ordre du jour des assemblées contrôlé, le vote de la censure strictement réglementé. Quant au Sénat, dépouillé sous la IVe République d'une partie de son autorité passée, il n'est plus, sous le régime nouveau, qu'un fantôme impuissant. Les régimes précédents n'avaient pas seulement souffert de l'instabilité gouvernementale. Ils avaient aussi connu de nombreuses crises difficiles, voire· impossibles à résoudre selon la procédure parlementaire habituelle. A plusieurs reprises, des événements plus ou moins graves, suscitant assez d'affolement sur les bancs parlementaires pour rompre la majorité gouvernementale, avaient empêché. qu'on disposât du temps nécessaire pour la patiente élaboration d'une majorité de rechange. Et ,il avait fallu, pour franchir le pas difficile, avoir recours à des personnalités dont le Parlement n'acceptait qu'à contrecœur l'autorité transitoire. C'est ainsi qu'on avait fait appel à Poincaré en 1926, à Doumergue en 1934, tous deux anciens présidents de la République. En 1940, ce fut bien pis. La déroute empêchait la réunion du Parlement. La panique s'emparait du ministère, qui tombait en décomposition. La force des ch~ses imposa un défaitiste à la tête du gouvernement, sans que personne eût assez de pouvoir pour faire prévaloir une résolution héroïque. Et en· 1958, ceqx qui rédigeaient, ceux qui discutaient la nouvelle Constitution avaient le souvenir tout frais de la crise du mois de mai, qui avait contraint le Parlement à se tourner vers le héros de Colombey. Toutes ces crises avaient un trait ..commun : l'autorité légitime était impuissante ou s'était dissoute. Ou plutôt : · il n'y. avait plus d'autorité légitime, et aucune ne

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