Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

L. EMBRY dépendance et qui cultivent avec une âcre volupté leurs susceptibilités nationales non encore apaisées, on ne cesse d'agiter l'épouvantail du «néo- ~aliérialisme », disons plutôt de l'éternel impér · ·sme. Car il est bien entendu qu'en vertu d'une inlassable propagande communiste, toujours centrée sur les mêmes thèmes, le monstre impérialiste, depuis le commencement du monde et sur toute l'étendue de la planète, ne peut être que l'américain. Simplisme ? Grossièreté ? Oui, certes ; mais il est normal en un sens que toutes les flèches visent la cible la plus énorme et c'est un prestige ou même un honneur bien difficile à défendre que celui du peuple qui est, par définition, le plus fort et le plus riche du monde. Sa suprématie matérielle inquiète tous les faméliques et tous les avides. En vain l'on répond que les Etats-Unis ont prêté ou donné des sommes gigantesques et qu'à tout prendre leur tutelle économique peut être bénéfique pour ceux qui l'acceptent. Ces raisons très raisonnables ne peuvent rien contre la passion et la fièvre obsidionale. Ajoutons que des faits trop réels, qu'il est facile d'exploiter et dont on exagère naturellement l'importance immédiate ou relative, permettent de brandir aussi contre les Etats-Unis l'accusation de racisme ; toutes les écluses de l'indignation sont ainsi ouvertes, mais, bien entendu, en une direction unique. Or le monde libre n'a pas réussi, et les Etats-Unis moins que personne, malgré les ambitions de leur prétendue technique psychologique, à se doter d'une propagande aussi pénétrante et massive que celle dont il subit les effets. Il faudrait, d'autre part, savoir opérer avec plus de tact et de souplesse, en pratiquant l'art d'agir autant que possible par personnes interposées et dans des conditions qui ne soient point transparentes. Mais il y a plus encore, quoique ce ne soit pas nécessairement plus grave. Un lustre plus tôt à peine, les Etats-Unis faisaient face à ce qu'on disait être le monde communiste. Le langage modelant la pensée, on en concluait que ce monde était un énorme bloc homogène ayant Moscou pour capitale. Or, avec une rapidité qui a devancé les plus audacieuses prévisions, voici que le grand schisme est devenu patent. On peut le tenir pour durable et profond, non pas tant à cause de polémiques injurieuses qu'on oublie quand il le faut, ou de controverses doctrinales qui ne sont qu'un oiseux verbiage, qu'en raison d'une rupture des niveaux qui a bien l'air de correspondre à des réalités décisives. Par sa nouvelle classe au moins, la classe dirigeante des parvenus et des profiteurs, la Russie s'est nettement engagée en un processus d'embourgeoisement qui, une fois de plus en son histoire, la pousse à s'occidentaliser. La Chine est au contraire un pays qui se dit prolétarien, égalitaire et ascétique, les lois démographiques suffisant d'ailleurs à la maintenir à cet étiage. Le duel entre les deux frères ennemis, dirigé en théorie vers une problématique réunification, ne peut que multiplier dans le monde communiste Biblioteca Gino Bianco 137 et progressiste les tiraillements, lés forces centrifuges, les tendances autonomistes ou nationalistes. Que les dirigeants russes aient été contraints de reconnaître officiellement le droit qu'a n'importe quel peuple d'aller au «socialisme» par les voies qui lui conviennent, qu'ils se soient, ce faisant, ralliés au titisme alors que la thèse du communisme national fut longtemps l'objet de tous les anathèmes, voilà qui est d'une importance capitale et qui montre bien qu'en dépit de certaines récurrences de l'ancienne idolâtrie, l'époque stalinienne est révolue; entendons, celle du communisme monolithique. S'il en est ainsi, n'en faut-il pas conclure que les règles majeures de l'escrime diplomatique doivent admettre certaines inflexions? Longtemps il parut évident que, pour tenir tête au bloc stalinien, le bon sens imposait la création d'un autre bloc aussi cohérent que possible : tactique primaire et qui n'allait pas sans danger, car c'est ainsi qu'on prépare la guerre générale, mais qui paraissait imposée par les plus élémentaires réactions de défense. Aujourd'hui que nous avons en face de nous un ensemble plus divers et plus mouvant, nous devons comprendre que la meilleure politique est celle qui a chance d'augmenter les divisions et les contradictions réelles ou virtuelles dans la confuse armée révolutionnaire; en particulier, on ne saurait trop guetter les occasions d'élargir le fossé entre Moscou et Pékin. Par contre, doit être tenu pour regrettable tout ce qui contraint Soviétiques et Chinois à retrouver un accord momentané, fût-il de façade et borné aux automatismes oratoires. On nous a dit mille fois, dans la langue métaphorique des journalistes modernes, que le Kremlin profitait des divergences de vues entre les Alliés pour enfoncer ses coins dans les interstices ; c'est de bonne guerre, et nous devons désormais être assez ingénieux pour riposter dans le même style. Il n'y/ a plus dans le monde un bloc dressé en face d'lJil bloc, mais deux coalitions adverses, peutêtre également plastiques et hétérogènes : ce n'est pas du tout la même chose et, du point de vue de la préserv~tion de la paix, il est permis d'en augurer mieux. CE N'EST ÉVIDEMMENT PAS dans une revue comme celle-ci qu'on peut se proposer de suivre l'actualité au jour le jour ; quand paraîtra cet article, qui et quoi tiendront l'affiche ? Notre seule intention est de situer sur la toile de fond que nous venons d'esquisser deux problèmes par eux-mêmes assez limités, mais qui contiennent en ~uissance le destin de l'Amérique latine et celui aussi de l'Asie du Sud-Est. Ce qui importe, c'est d'y bien voir l'intersection ou la convergence des lignes de force. N'était l'importance stratégique décisive, diton, de la mer des Antilles qui conduit à Panama, n'étaient aussi et surtout les amers ressentiments r

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