Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

136 · atomique des Etats-Unis qu'on a dû de ne pas la voir s'enflammer. C'est en tout cas vers la seconde solution du dilemme que le monde a brusquement dérivé, reprenant d'ailleurs des positions connues; c'est maintenant l'Union soviétique qui constitue un énorme foyer expansif et explosif, c'est contre elle que se dessine une stratégie de l'encerclement, matérialisée par la multiplication des bases américaines. Foster Dulles prend la direction de la nouvelle politique définie avant lui ; il vient au premier plan peu de temps avant que Staline disparaisse. Homme de haut relief et d'incontestable courage, il s'est attiré de pudiques réprimandes parce qu'il lui arriva d'exprimer ce qui n'est pas autre chose que la terrible règle du jeu : le diplomate doit savoir avancer sans peur jusqu'au bord du gouffre, c'est-à-dire de la guerre, sonder du regard l'abîme, puis se retirer juste à temps après avoir imposé ~ l'adversaire. Il sut à diverses reprises mener ce Jeu redoutable avec habileté et succès, mais il faut bien noter ici que rien n'est simple et qu'une politique, même très lucidement arrêtée, permet encoredes fluctuationsoumême des contradictions. En principe et depuis le renversement des alliances, les Etats-Unis s'étaient chargés de réfréner l'impérialisme communiste comme un gendarme qui maintient le bon ordre; était-ce compatible avec l'idéologie démocratique et anticoloniale? Ne fallait-il pas rappeler d'autre part que l'O.T.A.N. assumait la protection de certaines zones limitées, mais n'avait point à se soucier de ce qui se passait hors d'elles? Lorsque les Français se trouvèrent en Indochine aux prises avec les pires difficultés, on les abandonna à leur 1nalheureux sort parce qu'on ne voulait point avoir l'air de pactiser avec le colonialisme. La conférence de Genève, en 1954, bâcla un règlement dont on ne devait pas tarder à voir naître les amères conséquences et qui d'ailleurs était considéré, ainsi que le règlement coréen, comme tout à fait provisoire et destiné à préparer le recours à l'autodétermination. Deux ans plus tard, lorsque Nasser se saisit du canal de Suez, Dulles opta pour les atermoiements et les compromis que l'Egypte repoussait en droit ou en fait. La tentative anglo-française de trancher le nœud gordien par un coup de force et, ce faisant, de renverser un gouvernement totalitaire, suscita aux Etats-Unis une violente irritation. D'accord à nouveau, et comme à Genève, avec !'U.R.S.S. qui se déchaînait contre une intervention dite scandaleuse, ils infligèrent à deux de leurs alliés les plus proches une cuisante humiliation, les forcèrent à reculer comme des vaincus et sauvèrent Nasser, avec lequel ils cherchèrent à s'entendre sans guère y parvenir. L'action de Dulles était donc étrangement mitigée : on l'explique naturellement par la pression des circonstances, mais il en faut bien conclure au moins que toute ligne politique est sinueuse, l'essentiel étant qu'elle revienne vers ·le même axe lorsqu'il le faut vraiment. Bibl-ioteca Gino Bianco \ LE CONTRAT SOCIAL CE RETOUR EN ARRIÈRE élargit les perspectives et les éclaire mieux ; nous voyons bien que les interventions actuelles au Vietnam et dans les Antilles font, qu'on le veuille ou non, partie d'un ensemble; mais il ne s'ensuit pas que tout se répète dans des conditions identiques ou similaires. Une rapide évolution s'est au contraire produite, qui entraîne tous les pays en un cycle de changements; nous devons en retenir ce qui touche directement à notre propos. Maintenir sur terre un ordre pacifique conforme au droit humain, c'est la plus noble des ambitions, maisellene peut se soutenir que si elleest cautionnée par une autorité arbitrale et des principes reconnus de tous. C'est pourquoi la Maison Blanche a toujours proclamé que l'O.N.U. devait lui fournir une des pièces maîtresses de sa politique et nous nous garderons de prétendre qu'il y eut là simple recherche d'une couverture et d'une tactique. Pendant la guerre de Corée, la situation prit une forme à demi satisfaisante : les Américains combattaient nantis d'un mandat en bonne forme que l'aréopage de Manhattan leur avait octroyé, leurs contingents étant théoriquement internationalisés puisqu'on avait envoyé à côté d'eux de petites unités venues de bien des pays et qui d'ailleurs, hors la brigade turque, ne furent pas d'un poids appréciable. Plus tard, en Egypte et au Congo, se déroulèrent d'autres expériences où les optimistes pouvaient voir un germe et une promesse : la milice des Casques bleus, n'était-ce pas l'embryon de la police internationale, objet de tant de rêves? Encore est-il capital de rappeler qu'on avait écarté de cette troupe sélectionnée les Russes, les Américains, les soldats de toutes les nations directement partie aux litiges. C'était agir scrupuleusement, mais hélas, il faut bien constater que ces tentatives n'ont pu être renouvelées et que nous sommes à cet égard en pleine régression. Envahie par les Afro-Asiatiques, l'O.N. U., babélique, est entièrement paralysée; les formules de remplacement ne valent pas mieux et nous venons de voir à Saint-Domingue ce qu'il en est de l'Organisation des Etats américains. Il saute aux yeux que l'armée des EtatsUnis est la seule force disponible, immédiatement et partout. On ne peut lui adjoindre - et pas toujours - que les quelques troupes auxiliaires fournies par les alliés les plus fidèles, qui ne s'engagent que s'ils se sentent eux-mêmes menacés, tels les Australiens, allergiques aux Chinois. La puissance militaire des Etats-Unis n'est évidemment pas en question, mais il est regrettable qu'elle soit maintenant obligée de paraître à découvert, sans que puisse subsister le moindre doute quant à l'origine des décisions qui l'ont mise en action -et que les adversaires peuvent toujours expliquer par des calculs égoïstes. Or cette mise à nu des ressorts, ce passage au plan de l'ostensible, s'effectuent au moment où la décolonisationest à peu près achevée,où, devant les yeux des peuples nouvellement promus à l'in-

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