204 Ce qu'il écrivit en 1935 sur « l'occupation du pouvoir » aurait dû être rapproché de ce qu'il avait écrit un an plus tôt sur « la participation », de même qu'on ne saisit pas le mouvement de sa pensée si l'on oublie, lisant ses articles sur les nationalisations et les socialisations, les réserves (c'est le moins qu'on puisse dire) qu'il opposait encore aux idées d'Henri de Man en janvier 1933, quand elles eurent été adoptées, en gros, par le parti ouvrier belge. En réalité, Blum a résisté longtemps aux courants novateurs qui se dessinaient de toutes parts - à droite, au centre, à gauche, - parce qu'il ne concevait pas (du moins en tant que militant discipliné) qu'une rénovation pût s'effectuer par d'autres moyens et suivant une autre voie que ceux que définissaient les statuts du Parti. Avec un autre « découpage » de son œuvre, on aurait vu que son hostilité à la révision constitutionnelle répondait à une volonté arrêtée de ne rien faire, de ne rien toucher à ce qui était menacé, du moins de n'y pas toucher tant que ne seraient pas réunies les conditions qui permettraient de le faire, sinon en toute tranquillité, du moins conformément à la doctrine. Aux défauts du découpage, ajoutons ceux du tri. Il en est de graves. Pourquoi avoir frappé d'atimie les dix articles de septembre 1934 sur la dévaluation monétaire ? Les écrits consacrés aux questions proprement économiques ne sont pas si nombreux qu'on puisse sans inconvénient en négliger d'une telle importance, et l'on aurait eu là, de surcroît, un bel exemple de la clarté que Blum savait apporter dans les questions les plus complexes. Aurait-on voulu cacher qu'il s'opposait alors à une dévaluation nécessaire, qu'il devait opérer lui-même deux ans plus tard, dans des conditions beaucoup moins favorables et moins profitables au pays ? Les écrits qui ont trait à l'unité d'action, aux rapports du parti socialiste avec le parti communiste, ont, non sans raison, reçu la meilleure part. On trouve là les séries d'articles consacrés en juillet 1934 aux « problèmes de l'unité » (pp. 157173), en février 1935 à la question de l'unité organique (pp. 174-185), sans oublier ceux (déjà cités) qui traitaient du programme du Front populaire. On regrettera ppurtant que telles polémiques - secondaires sans doute, puisque Blum passa outre, mais révélatrices parce qu'elles témoignent de certaines inquiétudes - ne soient même pas évoquées, comme, en novembre 1934, la discussion avec André Marty à propos des menchéviks, ou comme les articles pleins d'une stupéfaction voisine de l'atterrement, écrits quand fut connue la déclaration Laval-Staline du 15 mai 1935. Et pourquoi n'avoir rien retenu des articles dans lesquels, en août 1934, il combattit l'idée d'un « tiers parti », ou encore de ce dialogue dramaBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tique qu'il eut le 15 décembre 1935 à la Chambre avec Ybarnegaray, chacun s'engageant pour sa part à la démobilisation des formations paramilitaires, l'un des Croix de feu, l'autre du parti socialiste? On aurait pu ainsi sentir, à travers l' œuvre de Blum, que la situation était moins simple qu'on ne le croit aujourd'hui, et qu'il y avait sans doute, même pour les socialistes, d'autres voies que celle qui fut choisie. Léon Blum a écrit sur la politique étrangère peut-être plus que sur tout autre sujet. Aussi, en ce domaine, fallait-il élaguer abondamment. La coupe, ici, est claire et devait l'être, mais on est en droit de se demander, lecture faite, si la taille n'a pas été conduite de manière à modifier les perspectives. C'est sur sa politique étrangère - celle qu'il défendait au nom du parti socialiste - que Blum a été le plus attaqué. Est-ce que ses éditeurs auraient voulu être ses avocats, des avocats qui plaident par prétérition (et aussi des .. avocats qui défendent plusieurs causes) ? Ils n'ont pas caché tout à fait qu'en mars 1934 Blum croyait qu'on empêcherait le réarmement de l'Allemagne par « le désarmement suffisamment rapide, suffisamment hardi, des puissances exvictorieuses » (p. 106). Mais quelle raison y avait-il de négliger, d'une part, cette intervention improvisée du 14 juin 1934 dans laquelle il reprochait au gouvernement français d'avoir donné « le signal officiel de la course aux armements » (c'est un peu son discours de Lyon-Vaise), d'autre part, son interpellation du I 8 décembre I 934 où il proposait encore d' « englober l'Allemagne, bon gré mal gré, dans des conventions générales de désarmement, de contrôle, de garanties et d'assistance mutuelle», ou encore sur son grand discours du 15 mars 1935 contre les deux ans, contre l'armée de métier, contre l'armée « de choc et de vitesse», comme dit, je crois, M. de Gaulle, toujours prête pour les expéditions offensives, et les coups de main, l'armée motorisée et blindée * ? Vraiment, on ne peut croire que ces textes n'étaient pas utiles à la compréhension de sa politique. D'autres pages font déplorablement défaut si l'on veut chercher derrière ce qu'on .pourrait appeler la pensée politique de Blum certains mobiles ou certaines idées plus personnelles. Pourquoi, par exemple, avoir écarté le discours du 1er décembre 1934 où il disait que « vis-à-vis de • Voici un autre passage : « Dans les cercles les plus influents de l'état-major, (...) on veut l'armée de métier, le corps blinqé, cuirassé et motorisé pour des expéditions de choc et de vitesse. Pourquoi veut-on cela ? A quelle conception stratégique répond cette exigence? (...) Non, ce n'est pas à la défense du territoire. (...) Le véritable objectif des projets du colonel de Gaulle et de ses partisans, c'est de créer l'armée que je viens de caractériser. Est-ce que, pour( ..•) l'armée de choc et de vitesse qu'on se propose de créer, on ne prépare pas, aujourd'hui comme en 1913 et 1914, ces grands plans de type napoléonien, ces grands plans de stratégie offensive ? l)
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