202 et leurs œuvres tirées à des millions d'exemplaires sont aujourd'hui commentées dans les écoles, enseignées dans les universités, à côté de celles de Lénine, ce qui est logique, mais hier à côté de celle de Staline également, ce qui n'eut certainement pas paru moins logique à Bakounine. L'histoire n'a cependant pas dit son dernier mot. Tôt ou tard, les nouvelles générations, avides de liberté et de savoir, connaîtront ce qu'on leur cache aujourd'hui avec autant de soin que de . rigueur. MARCEL BODY. Œuvres «choisies» L'Œuvre de Léon Blum, 1934-1937. Du 6 février 1934 au Front populaire. Les lois socialesde 1936. La guerre d'Espagne. Paris 1964, Ed. Albin Michel, VIII - 510 pp. DES (( ŒUVRES CHOISIES )) ont nécessairement deux auteurs, celui qui fait l'œuvre et celui qui fait le choix, celui qui a écrit les textes publiés (c'est ici Léon Blum) et celui ou ceux qui ont choisi, trié parmi tout un ensemble (en l' occurrence Paul Ramadier et ,Oreste Rosenfeld que la mort a surpris, le premier comme il entreprenait, le second comme il achevait cet ouvrage) et qui, si impartiaux et, comme on dit, si « objectifs » fussent-ils, font toujours intervenir un « coefficient personnel». Plus l'œuvre est vaste, plus elle est complexe, plus elle est - on peut parler ainsi dans le cas présent - morcelée, dispersée, disparate, et plus est grande la part de ceux qui élisent, qui rejettent, plus est grand ce qu'on peut appeler leur apport, n'auraient-ils écrit, comme c'est ici le cas, que de rapides introductions et quelques notes marginales. Ramadier et Rosenfeld, celui-ci surtout, ont vécu au même rythme et dans le même esprit que L. Blum, le second à son contact presque quotidien, les événements politiques qui ont suscité les articles et les discours réunis dans ce volume. Sans doute est-ce là une garantie de leur connaissance des faits, tels que Blum les a connus, de leur intelligence de ce qu'il en a pensé et dit. C'est là aussi, pour user d'un mot beaucoup trop fort, un risque de connivence, d'autant plus que ni l'un ni l'autre ne s'étaient totalement détachés de la vie active lorsqu'ils se sont vu confier ce travail ; ils étaient portés presque inconsciemment à retenir, des écrits de Blum, les plus conformes à l'image stéréotypée que l'on se fait aujourd'hui des événements d'alors. Il n'y a guère à leur en faire grief. Après tout, il est vraisemblable que, procédant en personne à ce choix, Blum se serait appliqué (lui qui, selon une formule de sa jeunesse, n'a jamais cessé de s'amputer de lui-même) à donner de lui cette figure conventionnelle, Biblioteca Gino Bianco -., LE CONTRAT SOCIAL cadrant à merveille avec l'idée banale que l'on se fait aujourd'hui de sa personne, de son œuvre et de ce temps, une figure parfaitement respectueuse, tranchons le mot, de la pensée et de la discipline de parti. On comprendra toutefois que ceux qui n'ont pas cette optique, s'ils se félicitent de trouver dans ce livre des textes pour la plupart difficilement accessibles, déplorent qu'on ait écarté tels articles, tels discours qui donnent des événements et de l'homme, de l'homme surtout, une image un peu plus insolite, et pour cela peut-être un peu plus vraie, ou, pour mieux dire, plus propre à éveiller la curiosité, à susciter la recherche de la vérité. Qu'il fallût choisir et, comme on l'a fait, écarter la majeure partie des écrits de Blum durant ces trois années, les trois quarts peut-être (on jugera mieux de l'importance des coupes quand aura paru, à la fin du prochain volume, la biblio- ~ graphie de cette période), ce n'était pas seulement une nécessité matérielle, c'était aussi une exigence littéraire. Cet homme qui donnait un article à peu près chaque jour, qui prononçait plusieurs discours par mois, voire par semaine, n'a pas seulement défié l'édition par l'ampleur de sa production. Il l'a défiée aussi par les redites auxquelles l'esthète qu'il fut toujours se désolait d'être condamné. Il le disait déjà quand il était critique littéraire ; il l'a dit à nouveau, et souvent, lorsqu'il fut journaliste politique, chef de parti, homme de gouvernement : à celui qui écrit beaucoup ne s'offrent que deux possibilités, se répéter ou se contredire. Il s'est quelquefois contredit; il s'est plus souvent répété. Quelque variété qu'il veillât à mettre dans son style, il ne pouvait se renouveler assez pour que tout ce qui tombait de sa plume revêtît un caractère original, d'autant plus qu'il lui arrivait souvent d'essayer dans une série d'articles les arguments qu'il produirait à la Chambre ou dans une assemblée du Parti, ou de développer par écrit pour le public plus large du journal ce que déjà il avait énoncé dans un discours. Ainsi, d'elle-même, toute une partie de sa production s'excluait de ce recueil. Pour absente qu'elle en soit, on peut dire qu'elle s'y trouve pourtant. Ces retranchements faits, il restait encore à couper beaucoup si l'on ne voulait pas dépasser les limites imposées, puis, ces coupes opérées, à distribuer la matière. C'est là que les difficultés commençaient, les éditeurs étant assurés de ne contenter tout à fait personne, ou presque, de ceux qui connaissent l'œuvre de Blum. Telle est la fatalité de ces sortes de tâches, et l'on s'en voudrait de reprocher à Ramadier et Rosenfeld quelques amputations que personnellement l'on regrette, si l'on n'avait parfois le soupçon qu'ils ont changé leur choix en censure, qu'ils ont cru bon de jeter sur certaines « erreurs » le manteau de Noé.
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