Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

QUELQUES LIVRES fait historique accompli. Proudhon, qu'il aime tant, a été plus logique, plus conséquent que lui. Voulant à toute force absoudre l'histoire, il a écrit une brochure malheureuse dans laquelle, après avoir démontré avec beaucoup de raison que la Pologne nobiliaire devait périr, parce qu'elle portait les germes de la dissolution dans son sein, il a essayé de lui opposer l'Empire des tsars comme le représentant de la démocratie triomphante. C'était plus qu'une faute, je n'hésite pas à le dire, malgré le tendre respect que j'ai pour la mémoire de Proudhon, ce fut un crime : le crime d'un sophiste qui, entraîné par les besoins de la polémique, n'a pas craint d'insulter une nation martyre, au moment même où, révoltée pour la centième fois contre ses affreux tyrans russes et allemands, pour la centième fois elle gisait abattue sous leurs coups. Pour accompagner les textes de Bakounine et les replacer dans le climat de l'époque, Arthur Lehning reproduit un grand nombre de documents historiques qui couvrent 140 pages de ce troisième volume. Ces documents vont de 1865 à 1873. La seule énumération de ces annexes avec leur titre général en montrera l'importance : I. - Documents de l'Association internationale des travailleurs se rapportant à la Russie et à la Pologne (1865-1866). Il. - Documents relatifs au discours prononcé par Sigismond Borkheim au Congrès de la Ligue internationale de la Paix et de la Liberté, Genève 1867. III. - César de Paepe : Les Institutions actuelles de l'Internationale au point de vue de l'avenir. IV. - Lettres de Karl Marx et de J. Ph. Becker à la Section russe de l'A.I.T. à Genève. V. - Friedrich Engels : Le Congrès de Sonvillier et l'Internationale. VI. - Karl Marx et Friedrich Engels : Les Prétendues Scissions dans l'Internationale. VII. - Référendum sur la révision de la Constitution fédérale suisse. VIII. - Documents relatifs à la révision des statuts généraux de l'A.I.T. IX. - Documents relatifs à la Conférence de la Fédération italienne tenue à Rimini, le 4 août 1872. X. - Documents relatifs au Congrès de La Haye (2-7 septembre 1872). XI. - Résolutions des Fédérations jurassienne, belge, espagnole, anglaise et hollandaise sur le Congrès de La Haye. Signalons que parmi ces documents figure Internationale et Révolution. A propos du Congrès de La Haye, brochure édité~ par les bla!1q~is_tes après leur départ du Congres et leur demission de l'Internationale. De même les 413 notes explicatives ou d?cumentaires qui suivent seront une source d'inf ormation des plus précieuses pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'Association internationale des travailleurs. On y trouve notamment, note 151, ce qu'écrivait Marx à Engels le 20 juillet 1870, avant Sedan et la proclamation de la République : " Les Français o~t b~soin d'être ros~és.. Si les Prussiens sont v1ctor1eux, la centralisation du pouvoir de l'Etat sera utile à la centralisationde Biblioteca Gino Bianco 201 la classe ouvrière allemande. La prépondérance allemande, en outre, transportera le centre de gravité du mouvement ouvrier européen de France en Allemagne ; et il suffit de comparer le mouvement dans les deux pays, depuis I 866 jusqu'à présent, pour voir que la classe ouvrière allemande est supérieure à la française, tant au point de vue de la théorie qu'à celui de l'organisation. La prépondérance, sur le plan mondial, du prolétariat allemand sur le prolétariat français serait en même temps la prépondérance de notre théorie sur celle de Proudhon » MEGA, Briefwechsel, III, 4, p. 340). La note 390 reproduit la lettre de menaces que Netchaïev envoya, à l'insu de Bakou~line, à l'étudiant Lioubavine, au nom d'un prétendu Bureau des agents à l'étranger de la société révolutionnaire russe « la Vindicte du peuple », pour le mettre en demeure de libérer Bakounine de l'engagement moral qu'il avait pris de traduire Le Capital pour l'éditeur de Saint-Pétersbourg Poliakov. On sait qu'au Congrès de La Haye, Marx se servit de cette lettre pour obtenir l'exclusion de Bakounine de l'Internationale. Par les extraits donnés ci-dessus des textes de Bakounine, on peut imaginer quels effets ils ne manqueraient pas de produire dans l'esprit des générations soviétiques qui ont vécu la collectivisation des campagnes, la terrible répression qui l'a accompagnée, les exécutions massives, les déportations par millions, les souffrances morales et physiques à peine croyables, dont l'Occident n'a eu longtemps cure, l'avènement de l'étatisme le plus méprisant, le plus dégradant, le plus écrasant, la servitude pour les ouvriers des usines, le servage pour les travailleurs des campagnes. Tout cela au ~m d'un système social, d'une doctrine que Bakounine avait dénoncés et combattus avec une clairvoyance étonnante et une énergie farouche dont nos citations des Ecrùs contre Marx n'offrent qu'une pâle illustration. On comprend que_ la parution des deux premiers volumes des Archives Bakounine ait attiré, à Moscou, l'attention inquiète des doctrinaires de l'Institut de marxisme-léninisme. Ces mentors se doutent bien qu'on ne pourra pas cacher éternellement aux jeun~s Soviétiques la vie, l'action, l'œuvre de Bakounine, dont les écrits publiés en Russ~e aJ?rès la rév~lution ont été, sous Staline et depuis, mis sous le boisseau. Etrange destinée posthume q~~ c~lle de Michel Bakounine. Sa mort ne l'a pas dehvrc de ses adversaires. Ceux d'aujourd'hui - qui se réclament de la même doctrine que ceux d'hier - sont encore plus acharnés, plus despotiques, puisqu'ils ont proscrit ses œuvres et son nom dans les pays slaves - à la liberté, à l'émancipation desquels Bakounine avait voué sa vie. Karl Marx, Friedrich Engels ont en Russie, en Pologne leurs portraits officiels, leurs statues

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