200 Borkheim, J. Ph. Becker, etc., et une condamnation absolue de l'organisation du pouvoir politique préconisée par « les porte-voix ou les chefs du parti de la démocratie socialiste de l'Allemagne. » Ceux-ci considèrent l'organisation de ce nouveau pouvoir et son action, incontestée et puissante, au moins pendant les premières dix ou vingt années qui suivront la ruine nécessairement plus ou moins violente du système actuel, comme l'unique moyen de faire triompher la révolution sociale et d'établir sur des bases inébranlables l'ordre nouveau (...). Ils s'étonnent naïvement qu'on puisse hésiter à reconnaître la bonté d'un système qui semble se démontrer de lui-même, et ils ne se doutent même pas des contradictions terribles qui lui sont inhérentes et qui, en le réduisant à néant, en font une utopie aussi décevante que dangereuse. Ces contradictions, je ne manquerai pas de les signaler plus tard. , Dans la lettre Aux Compagnons du Jura qui s'arrête net au 143e feuillet, Bakounine n'a pas donné suite à son intention. Mais un autre manuscrit de 72 pages, le dernier des grands manuscrits conservés de cette époque, est reproduit également dans ce volume sous le titre : Ecrits contre Marx. cc La première partie, dit Arthur Lehning, est encore un exposé sur le Congrès de La Haye et les principes de l'Internationale, ainsi que sur les divergences de Bakounine avec Marx. Toutefois, les questions personnelles sont laissées davantage de côté. » Citons, parmi beaucoup d'autres, ce passage qui, après presque cinquante ans de « marxismeléninisme » en Russie, prend un accent prophétique: Dans l'Etat populaire de M. Marx, nous dit-on, il n'y aura point de classe privilégiée. Tous seront égaux, non seulement au point de vue juridique et politique, mais aussi au point de vue économique. Au moins, on le promet, quoique je doute fort que, de la manière dont on s'y prend et dans la voie qu'on veut suivre, on puissè jamais tenir sa promesse. Il n'y aura donc plus de classe, mais un gouvernement excessivement compliqué, qui ne se contentera pas de gouverner et d'administrer les masses politiquement, comme le font tous les gouvernements aujourd'hui, mais qui encore les administrera économiquement, en concentrant en ses mains la production et la juste répartition des richesses, la culture de la terre, l'établissement et le développement des fabriques, l'organisation et la direction du commerce, enfin l'application du capital à la production par le seul banquier, l'Etat. Tout cela exigera une science immense et beaucoup de têtes débordantes de cervelle * dans ce gouvernement. Ce sera le règne de l'intelligence scientifique, le plus aristocratique, le plus despotique, le plus arrogant et le plus méprisant de tous les régimes. Il y aura une nouvelle classe, une hiérarchie nouvelle de savants réels et fictifs, et le monde se partagera en une minorité dominant au nom de la science, et une immense majorité ignorante. Et alors gare à la masse des ignorants ! * Allusion à Marx. Bibl.iotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL • Bakounine porte à maintes reprises un jugement sévère sur la politique de Marx au Conseil général et plus tard à la Conférence de Londres et au Congrès de La Haye. Bien des pages de ce document seraient à citer ; on ne peut qu'y renvoyer le lecteur. Parlant de la Conférence de Londres (septembre 1871), Bakounine dira: La légitimité de cette Conférence ayant été contestée, M. Marx, prestidigitateur politique très habile, et qui était sans doute jaloux de prouver au monde qu'à défaut de chassepots et de canons, on pouvait gouverner les masses par le mensonge, par la calomnie, par l'intrigue, organisa son Congrès de La Haye.( ...) On y a immolé sans vergogne, sans pitié, l'honneur de l'Internationale, on a mis en jeu son existence même, afin de mieux asseoir sans doute la puissance de M. Marx. Ce n'était pas seulement un crime, c'était une démence. Et plus loin : Pour mieux cacher son jeu et pour dorer un peu la pilule, ce mémorable Congrès a renvoyé en Amérique un simulacre de Conseil général, choisi et trié par M. Marx lui-même, et qui, obéissant toujours à sa direction occulte, assumera toutes les apparences, les ennuis et les responsabilités du pouvoir, en en laissant à M. Marx, protégé par son ombre, l'exercice réel. Et pour terminer les citations, reproduisons ce parallèle que fait Bakounine entre Mazzini et Marx, ainsi que la condamnation de ce qu'il appelle le cc crime » de Proudhon : (...) Mazzini et Marx s'accordent sur ce point capital, que les grandes réformes sociales qui doivent ém~nciper le prolétariat ne peuvent être réalisées que par un grand Etat démocratique, républicain, très puissant et fortement centralisé (...). Entre Mazzini et Marx, il existe toutefois une énorme différence, et elle est toute à l'honneur de Mazzini : Mazzini était un croyant profond, sincère, passionné. (...) Par rapport à sa propre personne, il était l'homme le plus simple, le plus modeste, le plus détaché de lui-même. Son cœur débordait d'amour pour l'humanité et de bienveillance pour tous. Mais il devenait impitoyable lorsqu'on touchait à son Dieu. M. Marx ne croit pas en Dieu, mais il croit beaucoup en lui-même et rapporte tout à lui-même. Il a le cœur plein non d'amour, mais de fiel, et très peu de bien- . veillance naturelle pour les hommes, ce qui ne l'empêche pas de devenir tout aussi furieux et infiniment plus méchant que Mazzini lorsqu'on ose mettre seulement en question l'omniscience de la Divinité qu'il adore, c'est-à-dire de Marx lui-même. Mazzini voulait imposer à l'humanité le joug de Dieu. M. Marx prétend lui imposer le sien. Je ne veux ni de l'un ni de l'autre, mais si j'étais forcé de choisir, je préférerais encore le Dieu mazzinien. Et sur Proudhon : , (...) J'arrive au partage de la Pologne. Je suis très heureux de pouvoir au moins une fois me rencontrer avec M. Marx, car lui aussi, comme moi, comme tout le monde, appelle ce partage un grand crime. Seulement je voudrais savoir comment lui, étant donné son point de vue fataliste et optimiste à la fois, a pu se permettre, a pu motiver une pareille condamnation d'un grand
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