Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

198 teurs et les conseils d'administration, mais, empruntant sa documentation à des ouvrages de spécialistes, il en parle plus longuement. C'est que ce qui l'intéresse, c'est la Fédération du livre, et l'adversaire contre qui elle mène un long combat: le patronat. A cet égard aussi, le livre de Nicolas Faucier est d'un vif intérêt : il est et demeurera un témoignage vivant des idées qui règnent chez les militants des métiers de l'imprimerie, et spécialement des imprimeries de presse. Il dit notamment l'espoir conçu lors de la Libération de parvenir à la gestion ouvrière des entreprises (qui aurait, pense-t-il, permis d'édifier une presse soucieuse de formation intellectuelle et morale), il se montre partisan convaincu de l'unité syndicale et partisan non moins assuré du syndicalisme apolitique. Tout cela, à vrai dire, manifeste une grande fidélité à de vieux principes plutôt qu'une étude attentive de la réalité. La gestion ouvrière n'est sans doute pas un bien en soi : naguère, le conflit du Courrierpicard a donné à penser que le capitalisme collectif peut n'être pas d'une nature fondamentalement différente du capitalisme classique, et d'autre part - l'expérience l'a bien montré, et d'ailleurs Nicolas Faucier juge « aride et rebutante » la lecture des journaux ouvriers et syndicaux - ce n'est pas avec de bonnes intentions qu'on peut conquérir un public et se l'attacher. Quant à l'unité syndicale et au syndicalisme apolitique, ce sont des principes qui allaient très bien ensemble au temps de la Charte d'Amiens, mais qu'il est difficile d'accorder lorsque l'on considère les faits actuels. L'auteur, d'ailleurs, ne l'ignore pas - comment l'ignorerait-il ? - mais il se borne à de discrètes allusions à ce problème complexe. Et c'est par là que se manifeste l'état d'esprit très spécial des militants du livre. L'unité leur a apporté d'immenses avantages, et ils la défendent avec une énergie sans défaut, notamment grâce au label, fondement constitutionnel de leur système. Mais l'unité ne peut être défendue que dans une fédération affiliée à la C.G.T. D'où cette contradiction de syndicats apolitiques qui consentent· à relever d'une centrale tout à fait politisée~ Contradiction qui n'est pas sans conséquence. Liés à un vaste organisme dont ils ne souhaitent pas le succès, ils sont conduits à limiter étroitement leur horizon à la défense de leurs intérêts professionnels. Dans la grande famille ouvrière, ils ne se sentent pas comme les autres. Leur haute qualification, la ténacité qu'ils mettent à préserver leur unité font d'eux des privilégiés, et qui se connaissent pour tels. Mais leurs privilèges, aujourd'hui, sont en péril. Pendant cinq siècles, la main du typographe a été l'intermédiaire nécessaire entre le manuscrit et l'imprimé. Cet intermédiaire est aujourd'hui menacé par de nouvelles machines. Nicolas Faucier montre ces dangers, et met en cause le capitalisme et les classes dirigeantes. C'est substituer des mots bien creux à un fait tout à fait indépendant des régimes politiques et sociaux : son livre retrace un état de la technique et de la vie professionnelle que le progrès technique rejette dans le Bibl.iotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL passé. Mais précisément, l'intérêt majeur de tous les livres qui décrivent un aspect de la vie, c'est que, très vite, et malgré qu'en ait l'auteur, ils prennent un intérêt historique. Y. L. Un monument * Michel Bakounine et les conflits dans l'Internationale, 1872. La questiongermano-slave. Le communisme d'Etat. Ecrits et matériaux. Textes établis et annotés par Arthur Lehning, suivis d'un index. Leyde 1965, E. J. Brill, édit., LXVII-492 pp. LES Archives Bakounine s'enrichissent d'un troisième volume aussi copieux, bien présenté et, par son contenu, non moins sinon plus important que les deux précédents. En plus de l'exposé que fait Bakounine de la question « germano-slave », des conflits dans l'Internationale qui en furent, pour une bonne part, la conséquence, et de la critique à laquelle il soumet les conceptions de Marx sur le communisme d'Etat et les principes d'organisation de l'Internationale, on y trouve une Introduction exhaustive d'Arthur Lehning, complétée par une abondante documentation historique et une quantité imposante de notes explicatives. Il s'agit donc de textes de grande valeur, tant pour la connaissance de la pensée de Bakounine après le Congrès de La Haye (1872) que pour l'étude des moyens mis en œuvre par les « deux partis de l'Internationale » (le parti de Marx et celui de Bakounine) pour gagner à leurs idées les Fédérations ou les Sections nationales de l'Association internationale des travailleurs, troublées ou indignées par les résolutions d'un Congrès qui modifiaient profondément la structure de l'organisation et sanctionnaient l'expulsion de Bakounine et de James Guillaume. Quant à la contribution d'Arthur Lehning à ce troisième volume, on peut dire, comme pour les deux premiers, qu'elle est celle d'un homme conscient des devoirs inhérents à sa tâche et qui s'est mis entièrement au service de la vérité historique. J;)égager cette vérité du limon sous lequel elle était enfouie depuis près d'un siècle est un résultat qui requérait autant de probité intellectuelle que d'érudition. A une époque où les considérations politiques et le fanatisme doctrinal prennent si souvent le pas sur l'information consciencieuse et exacte, le travail d'Arthur Lehning, fruit de longues et persévérantes recherches, est digne d'éloges. , La lettre que Bakounine écrivit de février à mars 1872 Aux compagnons de la Fédération des * Il a été rendu compte des deux premières parties de l'ouvrage dont il est question ici dans le Contrat social, mars-avril 1962 et sept.-oct. 1963.

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