Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

LES ÉTATS-UNIS CONTRE LA SUBVERSION par Léon Emery LA POLITIQUE est-elle une suite incohérente de décisions empiriques, donc le domaine des causes fortuites? Peut-on discerner au contraire en son accomplissement la tenace poussée de forces obscures qui ramèneraient les nations vers des positions similaires et feraient penser à la puissance d'une fatalité peu déchiffrable ? Les tentatives pour codifier une géopolitique vont dans le sens de cette redoutable hypothèse ; s'il est vrai, d'autre part, que la cybernétique entre de plus en plus en ligne de compte dans les calculs de la Maison Blanche et surtout du Pentagone, voilà qui ne ferait qu'accentuer la tendance de la politique au déterminisme. Le moins qu'on puisse faire, en tout cas, quand on veut se borner à comprendre, c'est de relier un fait nouveau à ceux dont il continue ou ravive l'impulsion. Les interventions américaines récentes au Vietnam et à Saint-Domingue n'auraient, à la lettre, aucun sens si nous ne commencions pas par un bref retour en arrière. Depuis que Foster Dulles a parlé d'une « révision déchirante» de sa politique, l'expression a fait fortune ; mais elle n'aurait jamais mieux été à sa place que pendant les premières années de l'après-guerre. C'est alors que l'Amérique fut mise avec le maximum de netteté devant un choix décisif. Le premier terme de l'alternative paraissait avoir acquis force de loi dès l'instant qu'à Ialta, en février 1945, au cours d'une brève tragicomédie, un mourant, Roosevelt, aveuglé par sa maladie et ses illusions, avait consenti au plus rusé des partenaires, Staline, l'un des plus funestes traités qu'on ait vu. II paraissait évident qu'en Europe toutes les nations, hors l'Union soviétique, seraient exsangues et ravagées après le combat ; !'U.R.S.S. triomphait grâce au matériel américain et ne pourrait manquer de s'en souvenir. Aux yeux de Roosevelt et de ses conseillers, elle était une des grandes puissances démoBiblioteca Gino Bianco cratiques, une des porteuses de l'avenir. Bref Ialta contenait en puissance et même en réalité la politique du duumvirat mondial ; l'Europe était pratiquement abandonnée, sinon à la conquête du moins à l'influence soviétique, tandis que les Etats-Unis contrôleraient le Pacifique, le Japon, la Chine et l'Asie du Sud-Est. Prolongeant les erreurs de Roosevelt, le général Marshall poussait d'ailleurs Tchang Kaï-chek à maintenir et consolider l'alliance avec Mao, l'idéologie démocratique couvrant et sanctifiant l'opération. II ne fallut pas plus de trois ou quatre ans pour que les conséquences de Ialta parussent en pleine clarté : mainmise absolue de Staline sur ses satellites, éviction brutale ou suppression sans phrases de tous les chefs nationaux qui n'étaient pas de stricte obédience, enfin double et terrible coup de mar~u qui fait tomber au pouvoir des communistes la Tchécoslovaquie à l'Ouest et l'immense Chine en Asie. Le communisme étant alors homogène et tout entier soumis au « chef génial », on peut dire que l'empire de Gengis Khan est reconstitué beaucoup mieux qu'aux temps les plus sombres de la conquête hitlérienne. Faut-il laisser le déluge recouvrir la terre? Il ne manque pas en Occident de fatalistes, de pleutres et de ralliés qui célèbrent le « sens de l'histoire » ; nombre de chefs politiques aux Etats-Unis, suiveurs de Roosevelt, sont encore obnubilés. Mais on doit rendre hommage à l'énergie et à la résolution de Truman. Grâce à lui, le renversement des alliances est un fait, et Ialta désavoué dans la mesure où c'était encore possible. A la hâte, on entreprend de relever les butoirs qui avaient été démolis, de refaire une Allemagne et un Japon, de négocier l'Alliance atlantique. Bientôt Adenauer assume sa fonction de chancelier, les prétentions soviétiques sur la Ruhr sont définitivement écartées, le problème de Berlin est posé, la guerre froide commence et c'est peut-être au monopole

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