M. COLLINET remplacer la division du travail entre artisans 20 par l'analyse d'un procédé dans sesprincipesconstituants. (...) Le talent de l'artisan se trouve progressivement suppléé par de simplessuroeillantsdes mécaniques (tome I, p. 30, souligné par nous). Alors, l'habileté est devenue inutile, voire nuisible, et par là se trouvent désormais évitées les jalousies et les mutineries inhérentes à l'ancienne division du travail. Ure décrit avant la lettre l'ouvrier spécialisé d'aujourd'hui et son caractère interchangeable. Avec les machines automatiques, « on peut confier ces mêmes parties élémentaires à une personne douée d'une capacité ordinaire après l'avoir soumise à une courte épreuve; on peut même, en cas d'urgence, la faire passer d'une machine à l'autre, à la volonté du directeur de l'établissement » (ibid., p. 33). Opposant l'ouvrier de type nouveau à celui des manufactures anciennes, étudié par Adam Smith, Ure proclame que l'abrutissement physique et moral est supprimé par le machinisme automatique. C'est la fin de ce qu'il nomme le « dogme scolastique de la division du travail» 21 avec ses conséquences morales si souvent dénoncées. Les problèmes humains nés de la manufacture se trouvent résolus : Les facultés de l'ouvrier ne sont soumises qu'à un exercice agréable ; il est rarement harassé de fatigue ou d'anxiété; il peut jouir de nombreux moments de loisir, soit pour se récréer, soit pour méditer, sans préjudicier ni aux intérêts de son maître ni aux siens (ibid., p. 33). On est étonné de trouver chez cet académicien des descriptions aussi idylliques qu'invraisemblables voisinant avec des analyses objectives des nouvelles techniques industrielles. En fait, si l'ouvrier n'a plus l'obsession de sa tête d'épingle, celle de la machine l'a remplacée : il s'agit d'un transfert, non d'une délivrance... Andrew Ure va plus loin; il assure que l'ouvrier sur machine, dépassant sa condition actuelle, tend à l'universel. « Lorsqu'il transfère ses services d'une machine à une autre, il vainc sa tâche et développe ses idées en réfléchissant aux conditions générales qui résultent de ses travaux et de ceux de ses compagnons » (ibid., p. 34). Mais l'auteur oublie d'ajouter que cet ouvrier plurispécialisé est dans la majorité des cas analphabète. Venu des campagnes de l'Angleterre ou de l'Irlande, il est apte à passer d'une machine à une autre - dans les « cas d'urgence » ! - en fonction même de son ignorance professionnelle. Que l'automatisme se développe, et il disparaîtra comme nombre de ses devanciers. Que lui servira-t-il alors d'avoir eu le loisir de réfléchir? C'est ce que confirme Ure, incapable de coordonner ses déductions, lorsqu'il écrit, une page plus loin : « Le but constant (...) est en effet de se passer entièrement du travail de l'homme [dans ces conditions, que deviendra 20. Aujourd'hui, noua dirions : entre ouvriers qualifi~s travaillant dans des ateliers •~•~s. .. l21. On retrouve les ~mes propot dans les apologies de l'automation. Biblioteca Gino Bianco 189 celui-ci?] ou d'en diminuer le prix en substituant l'industrie des femmes et des enfants à celle de l'ouvrier adulte ou le travail d'ouvriers grossiers à celui de l'habile artisan » (ibid., p. 35). La machine ennemie de l'ouvrier? SUR CE POINT, l'apôtre de la grande industrie capitaliste rejoint son détracteur Sismondi, lequel, polémisant avec Ricardo, formule sa fameuse conclusion: « Il ne reste plus à désirer que le roi, demeuré tout seul dans l'île, en tournant constamment une manivelle, fasse accomplir par des automates tout l'ouvrage de l'Angleterre 22 • » Mais Sismondi diffère de Ure et autres apologistes en ce sens que ceux-ci considèrent l'homme comme un appendice de la machine dont ils célèbrent les progrès très réels, tandis que celui-ci apprécie la machine à condition qu'elle serve l'homme en général et non le seul capitaliste : « Ce n'est point le perfectionnement des machines qui est la vraie calamité, c'est le partage injuste que nous faisons de leur produit » (ibid., p. 318). Autrement dit, c'est dans la séparation du producteur de ses moyens de production: « Tous ceux qui créent la richesse et qui la voient sans cesse passer par leurs mains sont étrangers à toutes ses jouissances » (op. cit., tome I, p. 172). Multipliant les produits tout en raréfiant les travailleurs qui seraient à même de les consommer, la machine apparaît à Sismondi davantage comme une arme de la guerre économique que comme un instrument du progrès humain. Pour les apologistes du système, comme pour les doctrinaires de l'économie politique, le salaire n'est pas considéré comme un revenu, un pouvoir d'achat, mais seulement comme un élément du coût de production qui doit être comprimé à tout prix : Tous les ouvriers d'Angleterre seraient mis sur le pavé, si les fabricants pouvaient à leur place employer des m)ldiines à vapeur avec cinq pour cent d'économie (ibid., p. 326). La machine, utilisée de la sorte, est d'abord moyen d'expansion, donc génératrice de conflits, ensuite moyen de destruction, donc génératrice de misère. Devant l'expansion désordonnée du capitalisme libéral, Sismondi a la hantise de l' encombrement: encombrement des produits invendables ; encombrement des emplois, suscitant le chômage ouvrier ; encombrement des carrières intellectuelles, créant déclassés et révoltés. A cela n'est opposée qu'une conception franchement malthusienne : consolider le paysannat, les cultivateurs comme les propriétaires ; limiter les corps de métiers dans chaque canton où le travail se fait sur commande et où l'artisan connaît le consommateur ; limiter le nombre des fabricants et manufacturiers qui travaillent pour un marché 22. NoUtJ,aux Pn'ncipts d't!conomit po/iriqut, tome II, p. 331 (Mition de 1827).
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