Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

188 ouvrière de King Ludd qui mspirera à Byron un poème: Song for the Luddites. Une des plus graves conséquences de l'avènement du machinisme fut l'embauche systématique des femmes et des enfants, moins bien payés et plus dociles que les hommes. Les enfants assistés par les paroisses furent, au sens strict du mot, vendus aux entrepreneurs : «Tantôt on leur accordait des salaires minimes, qui variaient entre le tiers et le sixième de ceux que gagnaient les ouvriers adultes, tantôt on se contentait, pour tout paiement, de leur donner le logement et la nourriture 17 • » Ils travaillaient de douze à dix-huit heures, souvent debout, la nuit autant que le jour. Le petit garçon d'Adam Smith n'avait plus le temps de jouer : la machine lui avait enlevé tous ses loisirs... A l'instigation de Robert Peel, qui luimême employait un millier d'enfants dans ses fabriques, la première loi de protection fut votée en 1802, mais resta sans effet. L'exploitation des enfants ne connut un début de limitation qu'à partir de 1833 en Angleterre, de 1841 en France. En 1832, une enquête de la Chambre des communes démontrait que cette exploitation était aussi terrible qu'à la fin du xvn1e siècle, et le Times (18 juin 1833) concluait qu'il fallait en finir« pour sauver notre caractère moral de l'ignominie et détourner de notre système manufacturier la haine et l'horreur qu'il inspire à toutes les autres nations ». L'état de choses existant trouva néanmoins un défenseur en la personne d'Andrew Ure, qui, en toutes circonstances, protesta contre les velléités humanitaires du Parlement, et que Marx nommait ironiquement le Pindare de la fabrique 18 • Parlant des enfants employés au rattachage des fils dans les filatures mécaniques, il écrivait : Ils paraissent tous joyeux et alertes, prennent plaisir à exercer leurs muscles et jouissent de la vivacité naturelle à leur âge (...). Le travail de ces petits espiègles ne semblait être qu'un jeu dans lequel l'habitude leur donnait une -dextérité gracieuse (...). Quant à la fatigue de la journée, ils n'en donnaient aucun signe lorsqu'ils sortaient le soir, car ils se mettaient à sauter et à courir les uns après les autres sur le premier gazon qu'ils rencontraient et commençaient leurs jeux enfantins avec le même empressement que des écoliers qui sortent de classe 19 • 17. Paul Mantoux : op. dt., 3e partie, chap. 111. Les parents eux-mêmes touchaient une gratification pour la livraison de leurs enfants. 18. Economiste et physiologiste, membre de la Royal Society et de nombreuses académies étrangères, Andrew Ure s'était fait connaître par des expériences sur les effets physiologiques du courant électrique. ~119. \Tome II, pp. 385 sqq., PhilosoPhie des manufactures ou économie industrielle de la fabrication du coton, de la laine, du lin et de la soie (avec la description des diverses machines employées dans les ateliers anglais). Ouvrage « traduit sous les yeux de l'auteur» (sic), 1836. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES La machine bienfaitrice de l'ouvrier? SELON URE, l'ouvrier fileur conduit deux métiers du type mule-jenny, soit en tout de 500 à 2.000 broches. Il est payé aux pièces et sur son gain doit rémunérer d'un à dix aides, la plupart des enfants. C'est ainsi qu'un fileur de Manchester, travaillant à un métier de 648 broches gagne par semaine 77 shillings et 4 pence, mais doit reverser 27 shillings aux cinq enfants qui l'assistent. A la même époque, un tisserand à main travaille seize heures dans une cave pour 5 shillings par semaine, alors que trente-cinq ans plus tôt il en gagnait 40. De cette comparaison, le Dr Ure tire la conclusion que la fabrique mécanique est un bienfait pour les ouvriers. Malheureusement, ajoute-t-il, ceux-ci adhèrent à des Unions qui revendiquent sans cesse, bien que le travail ne soit guère fatigant, pratiquement réduit qu'il est, les trois quarts du temps, à une simple surveillance. Contre la pression syndicale, les fabricants résistent en perfectionnant les machines, afin d'éliminer le plus grand nombre possible de salariés. Telle est la raison d'être de la mulejenny, entièrement automatisée, que Ure décrit avec lyrisme. L'inventeur de la mule, Crompton, avait déjà automatisé l'étirage, la filature en gros et le tordage du fil ; il restait à en faire autant pour le dévidage des spires autour des pointes de broches et pour l'envidage sur la broche en forme de conoïde. En 1833, l'ingénieur Roberts résoud le problème avec la self-acting mule, machine continue entièrement automatique. « Il produisit, dit Ure (op. cit., p .. 138), une machine qui paraissait douée de la pensée et du tact de l'ouvrier expérimenté » (sic) et qui remplaçait un « fileur accompli ». Cet «homme de fer » était « destiné à rétablir l'ordre parmi les classes industrielles et à maintenir à la Grande-Bretagne l'empire de l'industrie cotonnière». Cela n'est pas négligeable, mais ce qui enthousiasme Andrew Ure, c'est surtout le fait que cet «Hercule fileur répandit la consternation parmi les associations [ouvrières] et que longtemps avant d'être sorti de son berceau il avait déjà étouffé l'hydre de la sédition. » (ibid) . Selon cet auteur, il apparaît donc que la source du progrès technique réside davantage dans la lutte ouvrière que dans les exigences de la concurrence. Il écrit pareillement (p. 142) : « C'est sous l'influence oppressive de ces mêmes confédérations despotiques [les Unions ouvrières] que l'appareil automatique pour les opérations de teinture et de rinçage a été inventé. » L'ouvrage de Ure présente plus d'intérêt par la comparaison qu'il fait du système d~ la fabrique .avec la manufacture vieux style. Sa définition ~'applique point pour point à l'automation de nos Jours : Le principe du système automatique est donc de substituer l'art mécanique à la main-d'œuvre et de

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