134 grands moyens, toutefois sans frapper l'ennemi au cœur ni à la tête. Contre une guérilla implacable et insaisissable, ils ne savent et ne peuvent qu'user de l'aviation et de la marine. Les communistes ne respectent que la force. Engagé dans la défense d'une position essentielle à la sécurité du monde libre, l'oncle Sam est dans la situation d'un homme assailli par des essaims de guêpes auxquels il ne saurait riposter à coups d'aiguillon. Il se bat donc avec les seules armes dont il dispose, mais pas avec toutes, et en procédant crescendo dans l'espoir de convaincre Hanoï, Pékin et Moscou de l'inanité de leur agression par Vietcong interposé. Qu'il s'y prenne au mieux semble matière controversable, mais ce n'est pas à ses alliés de principe, insolidaires et défaillants en pratique, de donner des conseils anachroniques, encore moins de prononcer des regrets ou des blâmes. Les communistes sont entièrement responsables de l'état présent des choses. Il faut croire qu'à Washington les dirigeants aient enfin compris qu'infliger une leçon à l'ennemi, la seule qu'il entende, n'implique nullement le moindre risque de guerre mondiale, contrairement à ce qu'ont seriné pendant vingt ans les serviteurs de Staline et leurs alliés ou auxiliaires de tous poils. A la Maison Blanche et au State Department ainsi qu'aux Nations Unies, ce sont des hommes mis en place par le président Kennedy qui mènent la politique de contre-offensive militaire propre à décourager l'impérialisme et le néo-colonialisme communistes. La pire faute qu'ils puissent commettre serait de justifier les appréhensions de leurs compatriotes qui se traduisent chez eux dans la formule classique : « too little, too late » ( trop peu, trop tard). Les communistes ne respectent que la force. Ils persévéreront dans leur dessein au Vietnam tant que leur sera laissée quelque raison de supposer que les profits à venir compenseront les pertes actuelles. Ils transigeront s'ils y trouvent un avantage temporaire, bien résolus à ne renoncer à rien, puis à se frayer des voies nouvelles pour arriver à leurs fins. S'ils traitent, ce sera avec l'arrière-pensée de violer le·traité d'une façon ou d'une autre, comme ils ont toujours violé les traités portant leur signature. Par conséquent, la force, condition nécessaire pour les tenir en respect, n'est pas une solution suffisante : une autre guerre se livre à travers le monde, parallèle aux épreuves de force, une guerre politique inexpiable dite coexistence pacifique ou guerre froide que les démocraties occidentales ne gagneront .pas avec des pianistes ni des danseuses. En réponse à l'action militaire américaine combinée avec les forces sud-vietnamiennes, Chinois et Russes réitèrent leurs avertissements, mises en garde, sommations et menaces de toujours, escomptant les effets habituels du chantage auquel font écho leurs partisans et leurs dupes en Europe et eL Amérique, en Asie et en Afrique. Ils vocifèrent et vitupèrent, parlent d'envoyer sur les lieux des volontaires « si »••;, des volontaires « à condition que »•••, ils évoquent des perspectives BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL redoutables, ils font entrevoir des conséquences terribles, ils annoncent qu'on va voir ce qu'on va voir. Mais enfin leur chantage est tombé à plat et l'on a bien vu qu'on n'a rien vu. Des volontaires plus ou moins involontaires et des spécialistes en maniement de matériel moderne, il y en a déjà sans doute au Nord-Vietnam, et aussi et surtout des engins contre avions, il y en aura certainement davantage, ce qui ne contrebalancera pas la puissance américaine pourvu que le défaitisme politique ne l'empêche pas de s'exercer dans sa plénitude. En fait de troisième guerre mondiale, tout se borne à de banales manifestations mises en scène devant les ambassades et légations où flotte le drapeau étoilé, à de multiples déclarations et pétitions des sempiternels signataires professionnels de papiers à mettre au panier, bref à de piètres manigances qui font partie de la coexistence pacifique. Ce ne sont que discours, ce ne sont que paroles. Les communistes ne respectent que la force. Aussi ne risqueront-ils en aucun cas de provoquer la puissance militaire des Etats-Unis jusques et y compris la guerre nucléaire. Les leaders actuels de la stratégie américaine ont fini par s'en rendre compte et quelqu'un d'autre a aussi conclu dans le même sens. Dès le 7 décembre 1941, de Gaulle disait : « ••• Lorsque le présent conflit sera terminé, tous les éléments d'une guerre contre la Russie seront réunis. » Il lisait dans l'avenir « une grande guerre entre les Russes et les Américains (...) et cette guerre-là, Passy [son interlocuteur], les Américains la perdront ! ». Un de ses biographes note : « Il prédit, pour l'année 1946, le choc des armes entre les géants américain et russe. » Lemême auteur * termine en citant encore de Gaulle : « L'avenir, (...) c'est la guerre ! » Puis : « J'entends marcher les Cosaques sur Paris. La guerre approche. » Et enfin : «Le Sahara remplacera notre Massif central. » Or de Gaulle, en 1962, abandonne ce Sahara qu'il regardait comme suprême position de repli dans une guerre avec la Russie soviétique. Il a donc renoncé à ses pronostics en même temps qu'au Sahara et l'on comprend mieux ainsi son attitude vis-à-vis des alliés naturels de la France. Ce que l'on comprend moins, c'est qu'il ait renoncé à toute résistance devant l'invasion« pacifique » du communisme. Sur ce point essentiel, de Gaulle rejoint nolensvolens la ligne de conduite américaine qui laisse le champ libre aux successeurs de Staline et à ses émules dans leur inlasssable entreprise de conquête universelle par la ruse, la tromperie et la propagande, génératrices de violences sans limites. On ne conçoit pourtant pas d'échappatoire à la fameuse alternative du recours aûx armes de la critique ou à la critique par les armes. La force seule ne saurait prévaloir sans mise en œuvre des idées-forces. B. SOUVARINE. * J .-R. Tournoux : Pétain et de Gaulle. Paris 1964.
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