Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

M. FRIEDBERG pas ri. Plus tard seulement les acteurs découvrirent que ce personnage souffrait d'une paralysie des muscles faciaux qui l'empêchait de sourire. Cependant, le rapport « optimiste » de Strauch ne coïncidait pas tout à fait avec les paroles suivantes de Iou. Iourovski : Dernièrement [c'est-à-dire après Staline], je lisais une pièce dont une scène montrait un mariage dans un kolkhoze. A la noce, un des kolkhoziens, âgé de cent ans, surpassait tout le monde à la danse ; tout le monde sauf le secrétaire de l'organisation de base du Parti. Je demandai à l'auteur ce qu'il avait voulu dire par là, car cela ne se serait certainement pas passé ainsi dans la réalité. Il me répondit : « Dans la première version, le vieux surpassait aussi le secrétaire, mais ils (sic) ont corrigé mon manuscrit. • Un cas semblable de révision arbitraire a été signalé dans la Pravda du 12 septembre 1958. Un auteur lituanien avait donné au journal Tiesa une critique défavorable sur un certain livre. Deux mois plus tard, il écrivit un autre éreintement sur le même sujet pour la Litératournaïa Gazéta de Moscou. Or, dans sa nouvelle mouture, l'article était miraculeusement devenu louangeur. L'auteur lésé se plaignit dans la Pravda : Les rédacteurs de la Litératournaia Gazéta, après avoir reçu l'article qu'ils m'avaient commandé, y ont introduit des jugements qui ne se trouvaient nulle part dans l'article tel que je l'avais écrit et se sont permis ensuite de publier le tout sans même m'informer des changements apportés par eux. Ces grossièrespratiques staliniennes sont aujourd'hui considérées comme étant de mauvais goût et elles ont été réprouvées en termes très nets par M. Danilov, vice-ministre de la Culture, dans Sovietskaïa Koultoura du 1er mars 1960 : Il est arrivé que certains metteurs en scène et éditeurs aient apporté des changements importants aux scénarios sans même en informer l'auteur. Il est maintenant interdit aux studios d'introduire, sans le consentement et la participation de l'auteur, un changement quelconque dans les scénarios déjà approuvés par les directeurs de studios, ou d'ajouter quoi que ce soit auxdits scénarios. Néanmoins, auteurs et artistes restent impuissants devant une « protestation spontanée et justifiée du peuple», par exemple celle qui, suivant les Izvestia du 27 janvier 1961, eut lieu lorsque les éditeurs de la revue Iskousstvo (Art) eurent envoyé à l'imprimeur une couverture « moderniste » pour leur publication : Les travailleurs de l'imprimerie n° S de Moscou, où ce journal est composé, ont écrit avec indignation que les dessins étaient un hommage patent au • formalisme •• Les éditeurs ont été contraints de changer la couverture ••• Cette ingérence porte-t-elle atteinte à la liberté d'expression? Pas du tout, à en croire les lZ'Oestia du 3 septembre 1957 : « Naturellement, chacun a le droit d'écrire ce qu'il veut et comme il le veut; mais faut-il que tout ce qui est écrit soit publié dans une revue ? » Biblioteca Gino Bianco 177 En fait, le nombre des organismes et des fonctionnaires chargés de la censure s'est fortement accru depuis la mort de Staline. Il existe maintenant en U.R.S.S. quelque trois cents maisons d'édition (bien qu'une grande partie d'entre elles n'aient pas leur propre imprimerie 26 ), et chacune emploie parmi son personnel un censeur lui-même soumis à la surveillance des autorités locales du Parti. Le 24 février 1957, par exemple, la Pravda a critiqué le service de l'Agitprop du comité du Parti de la province de Kirov pour « manquements dans la vérification du travail de la maison d'édition provinciale » : en fait, ledit service avait laissé passer « L'histoire de Marfita », de A. Zinoviev, dans l'annuaire Kirovskaïa Nov, récit dans lequel de trop nombreux communistes jouaient un méchant rôle. Le sort d'un censeur soviétique n'est pas enviable, car il est responsable en dernier ressort de « l'opportunité » de chaque ouvrage approuvé par lui, ce qui exige un instinct politique qui confine au don de seconde vue. En conséquence, dès que la « ligne » est susceptible de changer, le censeur juge prudent de retarder le plus possible la publication des textes qu'il est chargé de passer au crible. Le phénomène a été critiqué publiquement, mais, est-il besoin de le dire, sans que la cause véritable fût mentionnée. Ainsi, le 6 juillet 1958, la Pravda déplorait le retard avec lequel les périodiques paraissent souvent (les journalistes occidentaux en poste à Moscou savent pertinemment qu'il faut s'attendre à des nouvelles importantes lorsque les publications sont en retard). A dix jours de là, elle s'alarmait du fait que les manuels pour la prochaine rentrée scolaire n'étaient pas encore prêts. Plus récemment, le 24 août 1962, la Pravda tançait les infortunés « auteurs et éditeurs qui n'avaient pas encore achevé leur travail sur les manuscrits de nombreux livres [scolaires] », cela une semaine avant la rentrée. La pénurie chronique de manuels, comme le notait la Litératournaïa Gazéta le 12 septembre 1957, est également causée par la révision beaucoup trop fréquente des textes, mais le journal se gardait de préciser que la raison principale de ces révisions est la nécessité d'adapter les manuels aux fréquentes fluctuations de la « ligne » du Parti. Même situation dans le roman. Dans la Litératournaia Gazéta du 16 février 1960, le critique Boris Iampolski faisait ressortir qu'aucun livre n'est simplement «réimprimé». Toute réimpression est traitée comme un nouveau manuscrit et doit nécessairement passer par les mains de nombreux « réviseurs », « éditeurs », et autres. Ceux-ci 26. La Vie du Parti, n° S, mars 1963, pp. 39-43. Pour la forme, un grand nombre de ces maisons d'tdition dtpendent de divers organismes non gouvernementaux, mais elles sont tout autant des entreprises d'Etat que la nouvelle agence de presse Novosti; les articles publi~s par cette agence, bien qu'~tant d'inspiration officielle, ne portent pas l'imprimatur du aouvemement, comme c'est le cas pour son alnte, l'a1ence Ta11.

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