Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

176 de l'U .R.S.S. (par exemple le magazine en langue russe Amerika de !'United States Information Agency, l'Anglia du Royaume-Uni, l'édition russe du Courrier de l'U.N.E.S.C.O.), ainsi que les livres et revues des autres pays communistes, notamment la Pologne et la Yougoslavie et, plus récemment, la Chine. Bien que ces publications étrangères soient « légales », leur diffusion est strictement restreinte et l'on a généralement beaucoup de mal à les obtenir. Enfin, la suppression des passages « indésirables » (et l'insertion de passages « désirables ») porte le plus communément sur la production littéraire et journalistique intérieure, bien que ce système de << remaniement » soit souvent appliqué aussi aux ouvrages non soviétiques, particulièrement aux pièces de théâtre étrangères. On en trouve un exemple frappant dans le cas d'une vieille opérette de Paul Abrahams, The Ball at the Savoy, jouée à Moscou en 1957. Selon la Pravda du 12 avril 1957, cette opérette « bourgeoise » avait été dotée d'un nouveau livret par le. Chatounovski : Le nouveau livret (...) supprime naturellement les situations les plus indécentes de l'opérette originale. On a même tenté de démasquer les fumisteries de la presse bourgeoise (...) et un représentant des classes inférieures a été introduit dans la pièce : l'oncle de Daisy, Célestin, membre du syndicat des garçons de restaurant. On a également tenté de dépeindre les « antagonismes de classes »••• Le livret ainsi « amélioré » ne s'attirait pas moins les critiques de la Pravda pour avoir vanté « les charmes de la vie bourgeoise chic, avec son hypocrisie et son immoralité». Certes, les travaux de sociologues, d'historiens, d'économistes et de personnalités politiques non communistes d'Occident sont maintenant publiés de temps à autre, mais non pas sans modifications. Cette méfiance a été exprimée officiellement dans une résolution du Comité central du P.C. de l'Union soviétique en date du 4 juin 1959, laquelle ordonnait que ces ouvrages « soient publiés à tirage restreint » ; « les passages sans intérêt éducatif ou pratique ·doivent être supprimés » et « ces ouvrages doivent être munis d'introductions et d'annotations abondantes » 23 • Les travaux occidentaux dans le domaine des sciences sociales n'atteignent donc les spécialistes soviétiques que sous une forme censurée, et en outre, dans ce qui subsiste, tout ce qui dévie tant soit peu de la «ligne » du Parti doit être repéré et réfuté. Quant aux «remaniements» imposés aux classiques russes, il semble qu'il nous faille revenir sur certaines de nos conclusions antérieures, selon lesquelles les textes de cet ordre n'étaient pas altérés par les censeurs 24 • Voici ce qu'écrivait 23. Documentation sur la presse soviétique, op. cit., p. 368. 24. Cf. M. Friedberg : Russian Classics in Soviet Jackets, New York et Londres 1962. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE récemnient V. N. Orlov dans sa préface à un ouvrage concernant la publication des poèmes russes antérieurs à la révolution : Il arrive assez souvent, par suite de diverses circonstances fortuites, que la version finale de l'auteur ait moins de valeur du point de vue idéologique et artistique que les versions antérieures. Donner la préférence à cette dernière version par seul respect formel des « dernières volontés » [ du poète], est nettement erroné 96 • Après Staline CERTES,les écrivains soviétiques ont toujours été soumis aux caprices de la censure et peu d'entre eux ont oublié la cruauté avec laquelle Staline a épuré les hommes et les œuvres au long des deux dernières décennies de son règne. La Litératournaïa Gazéta rapportait le 21 mai 1957 les remarques faites à ce sujet par le critique « conservateur » A. Dymchits : Tout le monde se souvient de la manière dont la poésie d'Essenine, de Blok et de Bounine a été anéantie à coups de matraque. Nous en avons fini pour toujours avec ce genre de procédé ..• Cependant, en U.R.S.S. même, l'affirmation selon laquelle la censure n'existe plus est publiquement contestée. Ainsi, dans le même numéro, la Litératournaïa Gazeta mettait en valeur un discours du poète ukrainien Nicolas Bajan où ce dernier estimait que Dymchits s'était un peu hâté de sonner le glas de la censure, laquelle existait encore bel et bien, quoique sous des formes différentes. « Nombre d'éditeurs (sic) zélés sont allés jusqu'à rayer le nom de Staline dans nos ouvrages», déclarait Bajan à l'appui de sa thèse. Et, effectivement, après la réhabilitation complète de Serge Essenine, poète paysan qui se suicida en 1925, la Litératournaïa Gazéta du 25 février 1958 publia une lettre où six écrivains recommandaient que la publication des œuvres d'Essenine soit précédée d'une étude approfondie par des « spécialistes en textes », expression qui, en U.R.S.S., ne peut guère se rapporter à des lettrés enfermés dans leur tour d'ivoire. Des opinions divergentes sur la réalité de la censure post-stalinienne se sont également manifestées au cours des réunions de la Société panrusse du théâtre, tenues en 1957, dont les délibérations ont été brièvement rapportées dans la revue Teatr de mars 1957. A cette occasion, l'un des assistants donna également à entendre que le passé stalinien était bien fini. M. Strauch raconta que, sous Staline, un bureaucrate du Parti vint assister à l'âvant-première d'une nouvelle comédie. Tout le monde était terrifié, .carle dignitairen'avait 25. Littéralement, le dernier mot ( niépravomierno) signifie « illicite » ou « illogique ». Cf. Edition de littérature classique : expérience de la « Bibliothèque du poite », Moscou 1963, p. 12. Au sujet de pratiques semblables dans les théâtres soviétiques pour les pièces du répertoire classique, cf. infra la citation d'un article d' Alexander Kron.

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