M. FRIEDBERG nettement énoncé dans un récent manuel de bibliographie : La bibliographie doit offrir des critères d'évaluation et de choix (...), s'appuyer sur des principes qui garantissent une attitude correcte envers la littérature et qui contribuent à l'avancement des opinions et des idées progressistes, ainsi qu'à la critique de celles qui sont réactionnaires 16 • Il existe bien d'autres indices, plus directs, de la permanence des contrôles traditionnels. Ainsi, les catalogues destinés au grand public ne contiennent encore, en règle générale, qu'une partie des ouvrages détenus par les bibliothèques. D'autre part, conformément à des directives émanant d'un service central, on procède à l'élimination systématique des matières qui ne sont plus dans la « ligne » du moment. Ces dernières années, des voyageurs étrangers ont constaté qu'il existe, dans les bibliothèques soviétiques, des « enfers » qui ne peuvent être consultés qu'avec la permission du Parti, de la police et des autorités universitaires 1 7 • En 1956, certains ouvrages confisqués ont certes été replacés sur les rayons accessibles au public 18 • Toutefois, l'autodafé, peut-être à une échelle plus réduite, se pratique toujours. Ainsi, un intellectuel soviétique avouait en 1957 que les bibliothèques sont tenues de remplacer les ouvrages « périmés », ceux-ci étant naturellement, le plus souvent, ceux qui traitent des questions politiques et socio-économiques 19 • Le 2 octobre 1959, la Pravda déplorait certains aspects du fonctionnement des bibliothèques et recommandait les remèdes habituels : Une partie importante du public ne bénéficie pas des services de bibliothèque et ne reçoit pas l'aide indispensable à des travaux individuels nécessitant des livres( ...). Les livres périmés doivent également disparaître des rayons des bibliothèques. Il conviendrait de les remplacer par les ouvrages dont les lecteurs ont besoin. Les œuvres de Staline, autrefois publiées à des dizaines de millions d'exemplaires, sont aujourd'hui victimes. de l'épuration du livre. De toute façon, elles vont être éliminées rétroactivement des statistiques de l'édition en vertu de la nouvelle classification : « Fondateurs du marxismeléninisme » , 20 façon commode de ne pas mentionner le défunt dictateur. Un traitement analogue est appliqué à ceux qui sont tombés en disgrâce depuis 1953, tel Howard Fast, pendant des années l'auteur américain le plus lu en U.R.S.S. et qui rompit avec le parti communiste après la révolution hongroise de 1956. En 1962, les membres d'une délégation d'éditeurs américains reçurent une liste des auteurs américains dont les 16. Horecky : op. cit., p. 157. 17. Frederick C. Barghoom : The Soviet Cultural OffmlÏflt, Princeton 196o, p. 118. 18. Horecky : op. cit., p. 157. 19. N. I. Bouzliakov : Que1ticnuconcernantla planificata'on de la pre11een U.R.S.S., Moscou 1957, pp. 23-24. 20. lhid., p. 98. Biblioteca Gino Bianco 17S œuvres s'étaient le mieux vendues de 1918 à 1959: le nom d'Howard Fast ne figurait même pas sur la liste 21 • Du fait que les autorités soviétiques nient avec véhémence jusqu'à l'existence d'une censure, il n'est pas surprenant que le mécanisme effectif de ladite censure soit en grande partie enveloppé de mystère. Il a donc fallu passer au crible les textes officiels pour découvrir les méthodes employées. En gros, la censure soviétique a trois fonctions principales ; 1. empêcher la publication des textes entièrement « nuisibles » ; 2. restreindre la circulation des ouvrages partiellement répréhensibles ; 3. éliminer les passages indésirables. La première catégorie comprend presque tous les ouvrages imprimés venant de l'Occident. Sauf les publications de caractère technique, aucun ouvrage occidental ne peut circuler parmi les lecteurs ordinaires. En dépit de maintes interventions diplomatiques, les autorités soviétiques ont inflexiblement refusé d'ouvrir des magasins vendant des livres et des revues occidentales, en contrepartie de maisons telles que la Four Continents Book Corporation à New York ou la Maison du livre étranger à Paris. (La seule excèption partielle est une librairie de Moscou où l'on peut acheter des auteurs français, classiques et modernes « de gauche ».) Les journaux occidentaux sont également introuvables pour les touristes euxmêmes. Bref, on se méfie de tout ce qui a été imprimé à l'étranger et n'a pas été approuvé par la censure. Cependant, comme il serait néfaste de priver complètement le public des sources d'inf ormation occidentales, les maisons d'édition soviétiques traduisent et publient sous diverses formes des extraits choisis de la presse occidentale. Le nouv~ périodique Za Roubéjom (A l'étranger), qui publie des extraits de la presse des pays non communistes, en est un bon exemple. Situation analogue pour les œuvres littéraires classiques d'Amérique et d'Europe occidentale: il est maintenant possible d'acheter les œuvres de Mark Twain ou de Dickens, par exemple, en anglais, mais seulement dans l'édition soviétique. Autrement, les livres et les périodiques occidentaux non techniques ne sont d'ordinaire accessibles que dans les sections « réservées » des bibliothèques 22 • La deuxième catégorie comprend principalement les publications occidentales spécialement rédigées à l'étranger pour le lecteur soviétique en vertu d'un accord passé avec le gouvernement 21. Book Publishing in the USSR, rapport de la délégation d'éditeurs américains en visite en U.R.S.S., 20 aoftt17 sept. 1962, New York 1963, p. 95. 22. La méfiance à l'égard des livres étrangers a été éloquemment démontrée à la fin de 1959 : plusieurs volumes, en particulier des ouvrages sur Hitler écrits par des historiens britanniques cél~bres, furent retirés de l'Exposition du livre britannique (cf. Barghoom : op. cit., p. 267). M~mcs incidents pour des livres américains présentés à Moscou.
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