Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

LA CENSURE SOVIÉTIQQE par Maurice Friedberg EN RUSSIE- pour paraphraser Trotski - les gouvernements et les régimes politiques eux-mêmes passent, mais la censure reste, malgré la belle formule suivant laquelle « la révolution d'Octobre a mis fin à la censure, tsariste a11ssibien que bourgeoise » 1 • On sait que, sous le régime soviétique, la censure a été portée à un degré de perfection jamais atteint; ce qui est moins connu, c'est que, bien avant la révolution, les dirigeants bolchéviks jetaient déjà les fondements de leur propre système de censure. Dès 1905, Lénine écrivait dans un article intitulé « Organisation et littérature du Parti» : Nous voulons créer et nous créerons une presse libre, affranchie non seulement de la police, mais également du capital, affranchie de l'arrivisme. Elle sera également affranchie de l'individualisme bourgeois-anarchiste 2 • L'allusion hermétique à l'« individualisme bourgeois-anarchiste» s'éclaira douze ans plus tard: Lénine reprit alors la question de la liberté de la presse dans un articlé écrit quelques mois avant que les bolchéviks ne prennent le pouvoir : Les capitalistes (et avec eux, consciemment ou non, nombre de socialistes-révolutionnaires et de menchéviks) définissent comme • liberté de la presse» un état de choses dans lequel la censure est abolie, tous les partis ayant le droit de publier des journaux de toutes sortes. En réalité, cela n'est pas la liberté de la presse, mais la liberté de tromper les masses populaires opprimées et exploitées par les riches, par la bourgeoisie 8 • Trois jours après le coup d'Etat du 7 novembre 1917, Lénine signa un décret interdisant tous les journaux de l'opposition. Pour rassurer l'opinion 1. Grande BncycloP4die Swi,tique (titre abrégé : G.B.S.), 1re éd., vol. XVI, 1934, p. 474• 2. V. I. Lffline : ŒutJreJ, 38 éd., vol. VIII, Moscou 1931, p. 399. 3. Citi par A. I. Nazarov : Prlcil d'hi1toire d, l'ldition 1oviltique, Moscou 19s2, p. 63. Biblioteca Gino Bianco publique en Russie et à l'étranger, on soulignait le caractère provisoire de cette mesure : Dès que l'ordre nouveau sera stabilisé, toutes les restrictions administratives seront levées et une liberté complète de la presse, uniquement soumise aux limitations de la responsabilité juridique, sera instituée conformément à la législation la plus libérale et la plus progressiste 4 • Ce décret n'a jamais été abrogé et reste aujourd'hui encore plus vivant que l'article 125 de la Constitution qui garantit la liberté de la presse aux citoyens soviétiques. Qui plus est, le Glavlit (Administration principale pour les questions littéraires et l'édition), l'organisme de censure, est le seul service gouvernemental à avoir conservé le nom qu'il portait du temps des tsars. Fondé il y a un siècle, il était rattaché de 1865 à 1917 au ministère de l'Intérieur 6 • Le 6 juin 1922, le gouvernement soviétique~tablit cet organisme sous le même nom et stipula que l'un des deux directeurs adjoints devait être un représentant de la police de sûreté. La censure avant publication devait veiller à ce qu'aucun livre «indésirable» ne paraisse; la censure après publication devait vérifier que toutes les matières imprimées l'étaient dans la forme approuvée et avec les corrections des censeurs 6 • Par la suite, sous la direction de Staline, la portée de la censure fut considérablement étendue par de nouveaux décrets. Le 6 juin 1931, un décret du Conseil des commissaires du peuple de la R.S.F.S.R. enjoignait au Glavlit de surveiller les « manuscrits, dessins, peintures, émis4. Tiré de Sur la presse du Parti et des JWiets. Recueil de documents, Moscou 1954, p. 173. 5. G.B.S., 1re éd., vol. XVII, 1930, p. 138. 6. Cf. McGraw-Hill BncycloPedia of RwJia and the Swiet Union, New,York-Toronto-Londres, 1961, p. 72. Pour une description documentée des activités quotidiennes du Glavlit à la veille de la deuxi~me guerre mondiale, cf. Merle Fainsod : Smolen,k under Soviet Rule, Harvard University Press, 1958, pp. 364-77.

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