B. DBLIMARS Vavilov avait imprimé un puissant élan à toute la science biologique et agronomique du pays( ...). Il avait établi plus de cent stations expérimentales de sélection en U.R.S.S. Son vieux maître à l'Académie Timiriazev et ami, l'académicien D. N. Prianichnikov (1865-1948) disait : • Vavilov est un génie. Nous ne nous en rendons pas compte parce qu'il est notre contemporain. • Vavilov avait formé des centaines, des milliers de savants 5 • Au cours de 180 expéditions, les collaborateurs du VIR avaient recueilli un énorme matériel de départ pour la création de variétés nouvelles. Au début de 1940, la collection de cet institut comptait plus de 300.000 échantillons vivants de végétaux divers. C'était u le saint des saints • de la sélection. Le VIR était surnommé à l'étranger "'le Louvre des botanistes et !'Ermitage de la culture des plantes ». Les résultats d'un travail aussi gigantesque ne tardèrent pas de se manifester : dès 1936, plus de 15 % des emblavures en U.R.S.S. étaient ensemencées en variétés de froment, orge, avoine, maïs, etc., obtenues en partant des collections réunies au VIR. Du vivant de Vavilov, plus de 350 espèces diverses de cultures céréalières, industrielles, fourragères, légumineuses et fruitières étaient créées à partir de ses collections 8 • Très bienveillant et largement ouvert aux mérites d'autrui, Vavilov fut le premier savant important à apprécier à leur valeur les travaux de Mitchourine. Il fit détacher plusieurs collaborateurs du VIR chez ce dernier, dans son trou provincial de Kozlov [aujourd'hui ville de Mitchourinsk], et le convainquit de faire un bilan de ses travaux et des résultats obtenus dans un ouvrage 7 qu'il préfaça lui-même. Ainsi, c'est Vavilov qui fit connaître aux Russes ce grand sélectionneur et ses produits (cf. n. 6). En véritable savant, il était imbu des traditions de rectitude intellectuelle de règle dans l' intelligentsia russe prérévolutionnaire : Vavilov était d'une scrupuleuse honnêteté scientifique. Rien ne pouvait le détourner des convictions auxquelles il était conduit par les faits ( cf. n. 6). Quand, par promesses fallacieuses de « transformer la nature» en quelques années et de diriger à sa guise l'hérédité des caractères acquis, Lyssenko eut gagné la confiance de Staline, l'activité d'un savant de cette trempe devint gênante pour le pouvoir qui ne tarda pas à prendre les mesures nécessaires : Dans les premières années de son activité (1929-34), la VASKhNIL avait commis des erreurs graves. Elle 5. Extraits de Aux c~tis de N. I. Vavilov, recueil de souvenirs de ses collaborateurs, publié en 1964 à Moscou par son· fils aux Editions Sovietskaia Rossüa. Les 7 .ooo exemplaires furent épuisés en deux ou trois jours. La Komsomol1kala Pravda analysa ce recueil le 28 novembre 1964. 6. c Le paladin de la science,, in Kom1omolskafaPravda, 6 f~ricr 196s. 7. Bilan des travaux d'un demi-liicle pour la criation de nouvelle, variitb de plantes fruitiëru et à baie1, MoscouUningrad 1929. Biblioteca Gino Bianco 169 n"avait pas lutté avec suffisamment d'énergie contre les doctrines nuisibles en biologie (..•), retardant ainsi sur les exigences rapidement croissantes de l'agriculture socialiste. Une série de lacunes dans son travail et de mesures pour y remédier furent indiquées dans une décision du Conseil des commissaires du peuple en date du 16 juin 1934. Dès lors, l'activité scientifique de la VASKhNIL commença de se réorganiser dans le sens du développement de l'agrobiologie matérialiste et de l'établissement d'un contact étroit avec la production 8 • En termes clairs, cela signifiait que cette académie, présidée par Vavilov, ne se conformait pas suffisamment à la doctrine de Lyssenko, désormais quasi officielle. Or le mérite particulier de Lyssenko est de lutter sans cesse contre les idées fausses des partisans de Morgan et de Mendel (cf. n. 8). · Vavilov, lui, n'admettait pas de compromis. Il ne se pliait pas, non plus qu'il ne s'abaissait à garder le silence. Voici un extrait de son discours de clôture à la session annuelle de la VASKhNIL : « Pour l'hybridation lointaine, nous suivons les conceptions cytogénétiques déjà vérifiées expérimentalement. Pour le moment, nous ne connaissons aucune autre théorie de valeur égale. Nous n'avons donc aucune raison d'abandonner la génétique moderne • ( cf. n. 6). Vavilov perdit donc la présidence de la VASKhNIL et fut rétrogradé au poste de viceprésident, chargé de diriger l'activité de divers établissements de recherche conformément aux vues du nouveau patron. Il n'était pas encore possible de l'éliminer complètement sans désorganiser de fond en comble l'activité de ces établissements, peuplés de chercheurs formés par Vavilov et acquis à sa puissante personnalité. Il fallait d'abord soit convertir ou neutraliser ces demiêrs, soit les remplacer ou les encadrer par des créatures de Lyssenko, encore insuffisamment nombreuses à cette époque. Vavilov eut donc un sursis. Mais l'activité d'un opposant de cette envergure était insupportable à Lyssenko. Tout fut mis en œuvre pour détruire la réputation du savant et discréditer l'homme. Alors que la Société soviétique de géographie considérait le voyage de Vavilov en Afghanistan comme un exploit en raison des multiples difficultés surmontées, ses adversaires l'accusèrent de s'être contenté de promener sa caravane d'un bazar à l'autre. Alors que des centaines de milliers d'hectares de cultures fertiles étaient dus aux recherches du VIR, les ennemis de Vavilov proclamèrent que l'orientation imprimée par lui aux travaux était entièrement stérile pour la pratique. Les généticiens de l'école de Vavilov étaient accusés de ne s'occuper que des mouches drosophiles, ce qui leur valait l'étiquette péjorative de « drosophysiologistes ». 8. Bncyclop,die agronomique, 38 ~d., vol. III, Moscou 1953, p. 384.
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