Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

168 Staline, ce savant avait hardiment pris la défense des principes qui permirent à Lébédéva ses brillants succès. On s'était jeté sur lui, on l'avait forcé à renier ses convictions de savant. Voilà pourquoi, après avoir engagé Lébédéva, Joukovski n'avait pu aller jusqu'au bout. On avait brisé en lui l'essentiel chez l'homme, sa volonté. Il n'avait pas osé se heurter à Sizov et défendre une cause juste. Je suis allé aussi chez l'académicien S. M. Boukassov, une sommité aux cheveux blancs, directeur d'études de Lébédéva. A un moment donné, à l'institut, il y avait une place vacante de collaborateur titulaire. Pourquoi ne pas l'avoir donnée à Lébédéva? Toujours la même réponse : « J'étais naturellement pour, mais Sizov était contre. - Pourquoi vous, un académicien chevronné, avez-vous laissé infliger pareil affront à votre meilleure élève ? » Et voici que Boukassov contre-attaque subitement : « Je me souviens d'un cas simi]airP..Un journaliste était venu m'interroger. Qu'en est-il advenu? Son article ne fut jamais publié et il a eu à en pâtir. Vous-même, vous n'obtiendrez rien, rien du tout.» Ce vieux savant, qui connaissait trop bien le climat imposé à la science par le régime, ne se trompait pas. Il fut impossible de faire affecter Lébédéva à un établissement de recherche. On ne put que la caser dans une école d'agronomie, afin qu'elle touche un salaire. Et il fallut attendre la chute de Khrouchtchev pour que l'article de Doudintsev puisse paraître dans la Komsomolskaïa Pravda du 23 octobre 1964. Avant de le publier, la rédaction du journal procéda à une enquête parmi les savants. Elle fit suivre l'article de Doudintsev de cinq appréciations très élogieuses pour Lébédéva. La dernière émanait du professeur N. V. Stoliétov, ministre de l'Enseignement supérieur de la R.S.F.S.R.,. titulaire de la chaire de génétique à l'université de Moscou. Khrouchtchev éliminé et Lyssenko privé de son unique soutien, ce haut fonctionnaire n'hésitait plus à affirmer : La polyploïdie est une nouvelle branche de la science qui se développe très rapidement, qui apporte déjà des résultats pratiques, et qui est utile, sous plusieurs rapports, pour la génétique matérialiste mitchourienne. Le sort de Vavilov CETTE MISE AU PILORI du professeur I. A. Sizov, lyssenkovien zélé et sûr d'être soutenu en haut lieu, était en même temps un camouflet retentissant infligé à Lyssenko, cause première des malheurs de Lébédéva et des autres généticiens qui refusaient de se laisser garrotter par ses sic volo, sicjubeo. Le plus grand crime de Lyssenko est sans conteste la liquidation de l'académicien N. I. Vavilov, botaniste et généticien classique dont les travaux avaient conquis l'admiration des savants du monde entier : Quand Lénine, après avoir lu· La Terre rénovée, de l'Américain Harwood, eut projeté de reconstituer l'agriculture soviétique sur une base socialiste, il confia à BibHoteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Vavilov un rôle de tout premier plan dans cette entreprise ( cf. n. 6). La GrandeEncyclopédieSoviétique consacrait· à Vavilov un article très élogieux dans le tome 8 (1927) de sa première édition: VAvn.ov (Nicolas Ivanovitch), né en 1887, agronome et botaniste fameux, professeur à l'Institut agronomique de Léningrad, directeur de l'Institut fédéral de botanique appliquée et de cultures nouvelles [transformé peu après en VIR], membre correspondant de l'Académie des sciences de !'U.R.S.S. Spécialiste important des plantes utiles, particulièrement des céréales cultivées en U.R.S.S., il jouit d'une grande autorité même à l'étranger. Le problème fondamental de ses recherches est d'accroître le rendement de la récolte et la résistance des céréales aux influences extérieures défavorables. Ses travaux concernant la sélection et la génétique ont convaincu Vavilov que toutes les recherches doivent être effectuées sur des échantillons recueillis de manière rationnelle. Pour ce faire, il a organisé, à l'institut qu'il dirige, de vastes études botaniques, génétiques et géo-botaniques sur les plantes utiles. De plus, il a monté une série d'expéditions destinées spécialement à collecter les échantillons appropriés en U.R.S.S. et à l'étranger, prenant personnellement part à beaucoup d'entre elles (notamment en Afghanistan, en Iran, en Palestine et en Ethiopie). A reçu, en 1926, le prix Lénine pour ses travaux sur les plantes utiles de !'U.R.S.S. Cet article fournit une liste des principaux travaux dus à Vavilov, notamment« L'immunité des plantes aux maladies infectueuses », publiée en 1915 dans les Nouvelles de l'Académie agronomique Pétrovski où il avait obtenu le diplôme d'ingénieur agronome, et « La loi des sérieshomologues dans la variabilité héréditaire », publiée en 1920 en U.R.S.S. et en 1922 en traduction anglaise dans le volume XII du Journal of Genetics de Cambridge. Jusqu'en 1935, la carrière de ce savant fut particulièrement brillante : Diplômé en 1911 de l'Institut agronomique de Moscou (actuelle Académie agronomique Timiriazev), il fut maintenu dans cet établissement pour se préparer au professorat. Professeur à l'université de Saratov de 1917 à 1921, il s'installe ensuite à Pétrograd. Dans l'ancienne capitale, Vavilov devient directeur de l'Ins-_ titut d'Etat d'agronomie expérimentale (1923-29), du VIR (1924-40) et cumule ensuite ces charges avec celle de directeur de l'Institut de génétique de l'Académie des sciences de !'U.R.S.S. à Moscou (1930-40). En 1923, il est élu membre correspondant de cette Académie, dont il devient membre titulaire en 1929. · Dès la création, en 1929, de l'Académie fédérale Lénine des sciences agronomiques, il assume la présidence de œtte institution suprême de la recherche scientifique. Mais en 1935-40, il n'est plus que viceprésident de cette académie ... (G.E.S., 2e éd., 1958, vol. 51, p. 51). Parfait entraîneur d'hommes, plein d'énergie, d'une activité incessante, doué d'une capacité de travail et d'une résistance à la fatigue exceptionnelles,

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