Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

166 qu'un bluff rendu nécessaire par une précipitation inutile dans la recherche ... Les comptes rendus trimestriels, qui doivent obligatoirement faire ressortir ce qui a été directement transmis à la production, imposent la pratique des fauxfuyants bureaucratiques. L'obligation expresse d'adresser à la production un torrent de recommandations et de directives conduit, dans la science zootechnique, à la disparition de toute recherche à long terme ... Cette poursuite de résultats prématurés se répercute sur le caractère moral du chercheur. Elle corrompt les jeunes cadres et les incite souvent à présenter des données obtenues sans objectivité ni scrupule : tout ce qui est « pour » est monté en épingle, tout ce qui est « contre » est passé sous silence. De ce fait, les méthodes d'expérimentation et de recherche de notre science zootechnique ne correspondent pas au niveau actuel des possibilités et des exigences. Elles ne requièrent point de nos chercheurs des connaissances solides dans le domaine des sciences connexes ... Aujourd'hui., la science zootechnique a besoin de biochimistes., physiologues et généticiens bien entraînés (...). Or, dès qu'un jeune chercheur manifeste du goût pour la recherche fondamentale., dès qu'il se fait tant soit peu remarquer, il s'efforce d'être affecté à un établissement dépendant de l'Académie des sciences ou de l'Académie de médecine. Autrement dit, il cherche à émigrer dans un domaine où le joug de Lyssenko se fait moins sentir qu'en agronomie. L'affaire Lébédéva DEUX JOURS plus tard, la même Komsomolskaïa Pravda publiait un long article intitulé : « Non! La vérité est taboue», avec comme sous-titre « Le sort d'une découverte scientifique». Le signataire en était V. Doudintsev, l'auteur du fameux roman : L'Homme ne vit pas que de pain. Il y exposait en détail et avec une indignation passionnée un cas écœurant de persécution, par les partisans de Lyssenko, d'une sélectionneuse particulièrement douée. Cette généticienne avait produit des hybrides nouveaux et précieux de la pomme de terre grâce à des méthodes qui violaient des dogmes imposés par l'académicien. Voici ce qui s'était passé à la conférence sur la polyploïdie, réunie à Léningrad en janvier 1963, à laquelle Doudintsev avait assisté en qualité de journaliste. Etonné du fait que la polyploïdie, ce phénomène capital de la multiplication de la garniture chromosomique, n'était connu en U.R.S.S. que par des spécialistes, il posa aux savants présents une question directe : « Pourquoi les produits de votre activité mystérieuse, poursuivie depuis tant d'années, ne se manifestent-ils pas au grand j,our ? Pourquoi ne les voyonsnous point dans nos champs ni sur notre table ? » Il sentit aussitôt qu'il avait touché un point sensible chez ses interlocuteurs : Pourtant, à cette conférence, on a parlé de grands succès scientifiques : non seulement d'une betterave de dimensions colossales et très sucrée., d'un maïs à gros rendement., mais aussi d'un sarrasin aux grains Bib-lioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE gigantesques, d'une pomme de terre réfractaire aux maladies et de bien d'autres choses encore. Au programme de cette conférence figurait un exposé sur la pomme de terre sauvage par N. A. Lébédéva, dont le nom fut suivi de la mention : « du VIR » [Institut fédéral de recherche scientifique concernant la culture des plantes] placée entre parenthèses. Brève et précise.,Lébédéva fit un exposé brillant, condensé et bourré de faits indéniables. Sous les applaudissements chaleureux de l'assistance, elle descendit de la tribune en laissant l'impression d'être une savante efficace et éloquente. Or, aussitôt après retentit la sonnette du président, lequel annonça, d'une voix mal assurée, qu'une erreur avait été commise en mentionnant que Lébédéva appartenait au VIR. Le directeur de cet institut, Sizov, lui avait fait parvenir une protestation où il exigeait la suppression de ladite mention et l'annonce publique que Lébédéva n'avait jamais été une collaboratrice du VIR ... L'annonce provoqua une rumeur de surprise dans la salle : on y connaissait bien Lébédéva et on savait parfaitement où et avec qui elle avait travaillé. Un académicien bondit à la tribune pour crier son indignation : « Je ne reconnais plus le VIR ! On devrait y être fier d'avoir une collaboratrice telle que Lébédéva. Cette femme est un savant authentique! C'est une héroïne! » Un tumulte s'ensuivit : « Le VIR l'a engagée il y a dix ans et l'a fait venir à Léningrad », criait-on à droite. « Le VIR l'avait mise à la porte», répondait-on à gauche. Depuis dix années, du fait de l'opposition de Sizov, d'abord sous-directeur, puis directeur du VIR, Lébédéva, grand expert de la génétique de la pomme de terre., ne peut obtenir un emploi dans sa spécialité. Elle en est réduite à poursuivre chez elle, dans des conditions primitives, ses expériences les plus délicates Voici la navrante histoire, contée par Doudintsev, de cette spécialiste de la polyploïdie, thème de recherche prohibé par Lyssenko avec une rigueur toute particulière. Après de brillantes études de biologie à l'université de Léningrad, Lébédéva entra à l'Institut fédéral de culture des plantes pour y préparer sa thèse de « candidat ès sciences ». Pour sujet, elle avait choisi un thème inspiré par les vues de Vavilov, jadis principal contradicteur de Lyssenko : · « Comment surmonter l'impossibilité de croiser certaines espèces sauvages de la pomme de terre avec ses espèces cultivées». En deux ans (au lieu des trois années allouées d'ordinaire pour une soutenance de thèse), Lébédéva avait achevé son travail. En partant de sauvages, elle avait obtenu des formes nouvelles qui conservaient leurs particularités utiles et procuraient des semences fécondes. Croisant ensuite ces formes nouvelles avec l'espèce ordinaire, elle donna le jour à des variétés n'ouvelles à grand rendement, _et qui, de plus, résistaient bien aux maladies et aux parasites. Mais l'élimination de Vavilov, l'avènement de Lyssenko et l'oppression de tous ceux qui n'acceptaient pas les idées de ce dernier avait rendu le VIR peu propice à Lébédéva. Elle accepta un poste d'expert de la lutte contre le doryphore en Allemagne de l'Est. Pour reprendre ses recherches

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