L'Expérience communiste LES MÉFAITS DE LYSSENKO par E. Delitnars EN 1962-63, l'emprise de Lyssenko sur la biologie soviétique était déjà fort relâchée1. Tant que, pour Khrouchtchev, Lyssenko continua d'incarner « l'application de la science à la pratique », le soutien du Parti ne pouvait manquer à cet autodidacte borné, obstiné à défendre des convictions périmées et des « découvertes » cruellement démenties par les faits. En octobre 1964, la brusque chute de Khrouchtchev allait tout changer. La meute impatiente des victimes et des adversaires de l'ancien tyran de la biologie soviétique pouvait enfin donner libre cours à des griefs depuis longtemps accumulés en silence. Dix jours à peine après la «démission» de Khrouchtchev, la presse sonnait l'hallali. Une avalanche d'articles exposait au grand public les méfaits de Lyssenko et glorifiait ses victimes. Pleine lumière était faite sur les torts causés par le dictateur d'hier tant à la science qu'à l'économie de !'U.R.S.S. La noble figure de bienfaiteur de l'agronomie soviétique que, hier encore, son protecteur tout-puissant imposait à l'admiration des foules, fit place à w1 personnage louche. Cette campagne de presse, non seulement autorisée, mais voulue par le Parti, car elle éclaboussait indirectement Khrouchtchev, donne une idée de l'atmosphère suffocante et empoisonnée dans laquelle le régime communiste a confiné ses biologistes sous Staline et sous Khrouchtchev. Les révélations apportées méritent un examen d'autant plus attentif que les séquelles de cette longue suppression de toute liberté de pensée risquent de peser encore longtemps sur la mentalité des savants soviétiques. Depuis qu'en août 1948 le Parti avait approuvé les thèses de Lyssenko, les rendant par là officielles et obligatoires, tous les biologistes hétérodoxes et tous les spécialistes non lyssenkoviens de l'agronomie furent chassés des établissements 1. Cf. Contrat social, mars-avril et mai-juin 1964. Biblioteca Gino Bianco de recherche et des écoles supérieures de Moscou et de Léningrad. Il ne restait plus à ces hérétiques qu'à se contenter d'emplois subalternes dans des disciplines qui échappaient à l'emprise du dictateur, ou encore à se faire oublier quelque part en province. De ce fait, nombre d'établissements de la périphérie étaient devenus des foyers clandestins antilyssenkoviens qui n'attendaient que l'occasion de se manifester au grand jour. Protestation des jeunes savants LE 21 OCTOBRE 1964, une semaine après la chute de Khrouchtchev, la Komsomolskaïa Pravda publia un article intitulé : « Sommes-nous des chercheurs ou des garçons de courses?». Les trois signataires, jeunes « candidats ès sciences » de l'Institut de Biélorussie de recherches sur l'élevage, dressaient{sans s'en prendre directement à Lyssenko, un violent réquisitoire contre le climat qui régnait dans la science agronomique : Notre institut, comme d'ailleurs tous les autres instituts spécialisés, n'est pas encore un véritable centre de recherche scientifique. C'est l'interprétation perverse et par trop primitive de la liaison nécessaire entre la science et la production qui freine avant tout le développement d'une recherche vraiment scientifique. Pour un savant, cette liaison comprend obligatoirement trois chaînons : recherche, diffusion, application. Dans cette succession, la première place doit, sans conteste, appartenir à la recherche. Avant de diffuser et de mettre en service, il faut trouver quelque chose. Or, c'est l'application qui est devenue un véritable fétiche pour les fonctionnaires des organismes dirigeants de l'agronomie. Les collaborateurs des établissements de recherchene sont pour eux qu'une réserve commode de personnel susceptible d'être chargé de missions de vérification et d'inspection sur les lieux. En 1963, l'un de nous fut obligé de passer soixante-quinze jours ouvrables à des missions qui n'avaient rien de commun avec son travail de savant. Le travail de l'institut souffre beaucoup de cette chasse à la • mise en application •, qui n'est souvent
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