Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

162 vage et le servage, son impérialisme épouse les traits caractéristiques de la colonisation pratiquée en des temps révolus 3 • LA DÉCOLONISATION est un fait accompli dans le monde occidental. La plupart des pays récemment parvenus à l'indépendance croient pouvoir affirmer celle-ci avec plus de force, en se proclamant cc socialistes » ou, du moins, résolus à s'engager dans la « voie du socialisme». Leur compréhensible réaction anti-impérialiste se double - puisque l'impérialisme auquel ils viennent de se soustraire était l'impérialisme capitaliste - d'une réaction anticapitaliste tout aussi vigoureuse. Le mot cc socialisme » est aux yeux de leurs nouveaux maîtres un simple synonyme d'anticapitalisme. Et puisque les hommes du Kremlin prétendent établir le socialisme - ou plutôt l'avoir déjà établi - quoi de plus logique que de s'inspirer du modèle soviétique pour la cc construction du socialisme»? · Nous nous garderons d'expliquer cette aberration par le sous-développement intellectuel des dirigeants des pays décolonisés, sinon il faudrait aussi bien appeler sous-développés bon nombre de socialistes européens qui prêtent fort gracieusement à !'U.R.S.S. des qualités « progressistes », voire socialistes. Il est très probable que même sans l'existence de l'Etat soviétique, sans sa propagande assourdissante, le processus de décolonisation (de toute façon inévitable) se serait accompagné de slogans et d'idéologies relevant du socialisme utopique. On en enregistre tout au long de l'histoire chaque fois qu'une population ou une catégorie sociale déshéritée manifeste ses aspirations ou trouve des porte-parole pour les concrétiser. Le seul fait nouveau, conséquence de l'apparition de !'U.R.S.S., c'est que ce socialisme utopique prend, dans bien des cas, modèle sur le pire système esclavagiste que connaisse l'histoire. Autrefois, l'utopie était utopie, c'est-à-dire imagination pure et simple. Aujourd'hui, elle est illusion, en ce qu'elle prête à une épouvantable réalité des vertus bienfaisantes et libératrices. Il est vrai qu'en Europe même, patrie de l'idée socialiste, le terme de cc socialisme » aurait grand besoin d'être défini avec plus de précision par les socialisteseux-mêmes. Le fait que les partis socialistes européens tiennent à se différencier des partis qui se bornent à se réclamer du progrès social ou de la réforme sociale, indique suffisamment que leur objectif demeure une transformation plus fondamentale des structures sociales. En même temps, leurs professions de foi démocratiques, bien moins équivoques que cellesd'avant guerre, montrent qu'ils se rendent compte que la propriété collective à laquelle ils aspirent ne peut être réellement collective qu'en régime démocraJ3. Cf. à ce sujet notre démonstration plus détaillée in Du Komintern au Kominform, Paris 1951, pp. 60-65. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tique. Si la collectivité n'a pas le droit de dire librement comment et par qui cette propriété doit être gérée, celle-ci ne saurait être collective. Le droit de s'exprimer librement ne suffit cependant point s'il ne s'accompagne de la compétence nécessaire. Si les propriétaires collectifs d'une branche où d'une entreprise - qu'ils soient actionnaires (société anonyme) ou électeurs (propriété étatique) - ne sont pas capables de contrôler la gestion, la propriété collective est une fiction. Il en résulte que cette propriété collective reste extrêmement limitée dans les conditions présentes de maturité des populations, dans les nations les plus évoluées ; à plus forte raison sera-t-elle limitée dans des pays où il s'agit, pour commencer, de surmonter l'analphabétisme. Il n'en reste pas moins que, dans le monde occidental, on voit, depuis plusieurs dizaines d'années, s'amorcer une évolution où l'on peut discerner des traits socialistes de plus en plus visibles. La législation économique et sociale limite toujours davantage le droit des propriétaires à disposer de leurs biens. Les propriétaires en titre proposent, les organes de l'Etat disposent, sous la pression des intérêts contradictoires qui se heurtent dans les assemblées législatives, dans des organes consultatifs (par exemple le Conseil économique et social) ou même dans des affrontements directs (cheminots qui arrêtent les trains, paysans qui barrent les routes). A la lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie se substituent de plus en plus des conflits multiples entre groupes d'intérêts et de pression dont chacun réclame une part plus grande du droit de codétermination dans une propriété devenue no man's land en dépit de tous les parchemins consacrant la propriété individuelle. Les résultats globaux de cette évolution sont bien plus importants que la nationalisation la mieux conçue de telle ou telle industrie, car de telles nationalisations resteront toujours limitées à des secteurs restreints, tandis que le processus global que nous venons d'esquisser fait progresser pas à pas la socialisation de la gestion économique dans son ensemble. . L'économie des nations les plus évoluées du monde ·occidental cesse peu à peu d'être capitaliste, quel que soit le qualificatif dont on cherche à la définir. Mais c'est en cessant d'être capitaliste qu'elle cesse aussi d'être impérialiste et peut se passer de colonies. * '1- '1LES PAYS COLONIAUX qui viennent d'accéder à l'indépendance et se disent cc socialistes » sont évidemment fort éloignés encore de ce stade primitif et élémentaire du socialismeen gestation que nous observons dans les pays industriels du monde libre. Ils se disent socialistes alors que les conditions les plus rudimentaires du socialisme leur font défaut : accumulation suffisante de capitaux ; niveau élevé des forces productives; forte concentration industrielle ; population laborieuse orga-

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