Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

L. LAURAT lyses de Hilferding et de R. Luxembourg furent de pures spéculations de l'esprit. Mais comme elles ont pu être vérifiées pendant une longue période - un demi-siècle au moins - force nous est de considérer que si les tendances impérialistes, jadis réelles, ont cessé d'agir en Occident, c'est parce que les structures économiques qui les engendraient n'existent plus ou, du moins, sont en voie d'extinction. Tel nous paraît être en effet le cas, que l'on se réfère à la théorie de Rosa Luxembourg ou à celle de Hilferding. La première explique l'expansion impérialiste par la nécessité, pour le capitalisme, de trouver des débouchés extra-capitalistes (ni capitalistes ni salariés), soit à l'intérieur des frontières des pays capitalistes, soit à travers le monde. La seconde ne s'applique qu'à la période monopoliste du capitalisme (depuis la fin du siècle dernier) : la cartellisation accélère la formation de capitaux additionnels désireux de s'investir tout en réduisant les possibilités d'investissement, puisque la monopolisation freine la production ; d'où la tendance à l'exportation des capitaux. Les structures économiques nouvelles du monde moderne ont supprimé les lois qui sont à la base de ces deux théories. L'extension du secteur public en Europe occidentale a créé à l'intérieur même des pays ci-devant impérialistes un milieu non capitaliste de plus en plus vaste, lequel dispense le secteur demeuré capitaliste de rechercher des débouchés extra-capitalistes supplémentaires aux quatre coins du monde. Dans des pays qui n'ont pas procédé à des nationalisations d'envergure (Etats-Unis, Allemagne occidentale), les méthodes de l'économie orientée (planification souple agissant sur les investissements et sur la répartition de la plus-value en fonds de consommation et fonds d'accumulation) ont abouti aux mêmes résultats. On peut situer la césure en 1933 : le New Deal de Roosevelt inaugure une évolution qui dépouille graduellement les économies modernes des caractéristiques essentielles de ce que Marx appelait le « capitalisme ». A l'intérieur même du monde occidental, le secteur proprement capitaliste se trouve en face d'un secteur non capitaliste - matériel ou fonctionnel - assez étendu pour que le premier puisse renoncer sans risque de crise à l'expansion impérialiste. En même temps, l'économie orientée limite de plus en plus la puissance des monopoles. Loin de nous la pensée de nier que des monopoles subsistent et continuent de prélever leur tribut sur les consommateurs. Mais l'abaissement des barrières douanières, indispensables au maintien des prix de monopoles, réduit toujours davantage l'action des ententes et des cartels. L'exportation des capitaux a ainsi cessé d'être un impératif catégorique : les possibilités d'investissement à l'intérieur des pays ci-devant capitalistes ne font point défaut. Les lois énoncées par Hilferding pour expliquer l'expansion impérialiste ne jouent donc plus à notre époque, non plus que celles définies parRosa Luxembourg. Biblioteca Gino Bianco 161 RESTE A EXAMINER l'impérialisme soviétique, le seul qui subsiste aujourd'hui. L'Union soviétique n'est ni un Etat ni une économie capitaliste. Sa poussée expansive ne saurait s'expliquer ni par la théorie de Rosa Luxembourg ni par celle de Hilferding, l'une et l'autre procédant d'une analyse du capitalisme. Le capitalisme, seule formation économique à fonctionnement autonome que connaisse l'histoire, est d'ailleurs aussi la seule obéissant à des lois purement économiques qui s'imposent tant aux individus qu'aux collectivités et aux autorités. Dans toutes les autres formations économiques, l'économie se plie à la loi écrite ; dans le capitalisme, la loi écrite procède des lois économiques, celles-ci s'entendant au sens objectif de lois naturelles comme en physique ou en chimie. Or il n'y a pas de lois économiques objectives en U.R.S.S. 1 , où l'économie officielle est privée de toute spontanéité, laquelle ne subsiste que dans la clandestinité du marché noir. Les tendances impérialistes du Kremlin ne sauraient donc être l'émanation de lois économiques quelconques : elles sont le fait de la volonté des dirigeants, mille fois affirmée et manifestée sans vergogne. Si l'on veut trouver un parallèle ou une explication à l'impérialisme soviétique, il faut remonter loin dans l'histoire, jusqu'à des formations économiques et sociales dont la structure s'apparente à celle de !'U.R.S.S. Le système soviétique tient à la fois du servage et de l'esclavage, l'un et l'autre étant aggravés par le fait qu'il s'agit de servage d'Etat et d'esclavage d'Etat. Ici, la ressemblance avec la société antique, et notamment avec l'impérialisme romain, saute immédiatement aux yeux. C'est un impérialisme qui ne cherche à exporter ni des marchandises ni des capitaux puisqu'il en manque. Il veut conquérir des biens et des forces de travail : c'est ce que fait l'Uniôn soviétique, vouée à une constante pénurie. Ce n'est pas pour déverser dans le « glacis » un trop-plein de marchandises et de capitaux que !'U.R.S.S. a procédé aux annexions directes ou indirectes d'après la dernière guerre ; c'est au contraire pour s'en procurer, et de la main-d'œuvre serve par-dessus le marché. La rapine et le brigandage sont les seuls moyens d'enrichissement réellement « payants » dans une société où la productivité est sinon stagnante, du moins en évolution très lente. D'autre part, une classe dominante qui tire sa richesse 2 de l'esclavage à l'intérieur de ses frontières a encore moins de scrupules à réduire en esclavage des allogènes, des étrangers, des vaincus. De même que la structure économico-sociale de !'U.R.S.S. se situe à mi-chemin entre l'escla1. Sauf celle de la rentabilit~, commune à toutes les formations ~conomiques. 2. Peu importe qu'elle l'emploie à accroître son luxe personnel ou à la dilapider pour « construire le socialisme • que l'on sait.

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