Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

DÉCOLONISATION ET «SOCIALISME» par LUcien Laurat POURLE MONDEOCCIDENTAlLa , décolonisation est aujourd'hui un fait accompli. Ceux qui en douteraient encore n'ont qu'à consulter le rapport présenté par Khrouchtchev le 18 octobre 1961 au congrès du P.C. soviétique. Désireux de mettre en évidence les progrès réalisés par le « camp socialiste» de 1919 à 1961, le chef de la direction collégiale affirmait, en se fondant sur de nombreux chiffres, que la population de ce « camp socialiste » était passée de 7,8 % de la population du globe à 35,5 %, alors que celle des colonies, semi-colonies et dominions n'était plus que de 2,8 % en 1961 contre 69,2 °/4 en 1919. Les anciens pays coloniaux et semi-coloniaux parvenus à l'indépendance comprenaient en 1961 plus des deux cinquièmes de la population du monde. Khrouchtchev ne dit pas quels pays ou régions il classe dans les 2,8 % qui restent colonisés : peut-être le Sud-Vietnam, Formose, la Corée du Sud, l'Afrique du Sud ? De toute façon, il y comprenait .l'Algérie, mais celle-ci ayant accédé peu après à l'indépendance, le chiffre de 2,8 % devra encore être réduit. La décolonisation dans le monde non soviétique est donc un fait accompli et attesté par les dirigeants soviétiques. A quoi riment, dès lors, leurs attaques sans cesse renouvelées contre l' «impérialisme» ? On est d'autant plus en droit de se le demander que les chiffres produits par Khrouchtchev situent le camp impérialiste de nos jours. En passant de 138 millions (7,8 % de la population mondiale) en 1919 à 1.072 millions (35,5 %), le «camp socialiste » s'est accru de 934 millions d'habitants. Même en faisant abstraction des 700 millions de la Chine de Mao, le bloc d'obédience soviétique comprend donc 372 millions d'habitants, dont (en 1961) 218 millions de Soviétiques, parmi lesquels il faut compter environ 30 millions (Géorgie, Etats baltes, Prusse- Orientale, Bessarabie, Pologne orientale, etc.) annexés de force. En d'autres termes, !'U.R.S.S. n'a que"'188millions d'habitants volontaires ou consentants (et encore...), auxquels Biblioteca Gino Bianco 30 millions ont été directement annexés. Ce qui permet de dresser le tableau suivant (en millions d'habitants) : Population soviétique ......... . Annexions directes . . . . . . . . . . . . Pays satellites (colonisés) ..... . Cuba ( « Anschluss » volontaire) . Total .............. . 188 30 l 14~ ~ 184 372 Sur 184millions d'asservis, 7 millions seulement, les Cubains, ne l'ont pas été à la suite d'une invasion brutale. De 1919 à 1961, !'U.R.S.S. a donc ajouté à sa population propre un domaine colonial d'une importance démographique équivalente. On nous reprochera peut-être de ne pas mentionner la Sibérie, considérée à juste titre comme une colonie, mais une colonie à laquelle la plupart de nos contemporains refusent cette appellation parce qu'elle n'est séparée de la Russie que par l'Oural, alors que l'idée de colonie implique généralement la notion d' «outre-mer ». Certes, la Sibérie est l'une des plus anciennes colonies de la Russie, mais elle a toujours été essentiellement une colonie de peuplement, la faible densité de sa population ne se prêtant guère à une véritable exploitation des tribus indigènes, plus ou moins nomades. LES PUISSANCEOSCCIDENTALjEaSd,is colonisatrices, n'ont plus de colonies. Elles ne cherchent ni à les reconquérir ni à en conquérir d'autres; le monde aujourd'hui « fermé » ne leur en offre d'ailleurs nulle part. Ces puissances ont donc cessé d'être impérialistes dans l'acception depuis longtemps consacrée de ce terme. Leur poussée expansive s'est assoupie, les forces mises à nu par les théoriciens marxistes de l'impérialisme - avant tout R. Hilferding et Rosa Luxembourg - ne jouent plus. Si cette poussée expansive ne s'était jamais manifestée, on pourrait dire que les ana-

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