B. SOUV ARINB remettre en cause. « Right or wrong, my party», résumait Trotski, et d'une autre manière Boukharine proclamait que le Parti a toujours raison. Tous deux et leurs émules (mais la personnalisation sert ici à abréger en simplifiant) ont rivalisé de loyalisme envers une autocratie déloyale et se sont livrés à des simulacres de controverses idéologiques alors qu'il s'agissait, comme Zinoviev et Kamenev l'ont avoué en 1926, d'une lutte pour le pouvoir 12 , et tandis que Staline usait de moyens et procédés excluant tout fair play. Maître absolu de l'appareil du Parti superposé à l'administration de l'Etat, et en outre mandataire du Politburo au Collège (directorial) du Guépéou où il avait nécessairement le dernier mot, Staline, complètement dépourvu de scrupules comme de principes, sut anéantir et temporairement déshonorer l'oligarchie constituée sous Lénine pour en former une autre à sa dévotion la plus servile. Ce sont là des éléments de stalinisme intransmissibles, qui ne figurent dans aucun énoncé doctrin~l et que le dogme officiel déguise en procédures régulières de démocratie authentique. Disposant d'un véritable monopole de l'information, Staline imposait à l'intérieur les fictions conformes à ses besoins politiques et, chose plus étonnante, accréditait à l'étranger des mythes qui défient le simple bon sens. Toute la population soviétique étant au service de l'Etat ou dans la dépendance de l'Etat, chaque individu s'y sentait à la merci du pouvoir et par conséquent la moindre résistance aux volontés ou caprices du tyran équivalait à une modalité de disgrâce immédiate, puis de suicide. Le sentiment d'insécurité pour soi-même et pour ses proches, la suppression des droits de l'homme et des garanties élémentaires de la justice, l'écartèlement des familles par décision policière, les opérations terrifiantes du Guépéou, l'épouvante qu'inspiraient les répressions aveugles, les déportations collectives, les innombrables exécutions capitales clandestines, rien de tout cela ne s'avoue dans le stalinisme avoué. Au contraire les textes de Staline et ceux de ses porte-parole font état de fictions comme la nécessité de préserver la pureté du marxisme-léninisme contre les perversions de gauche et de droite et contre les influences étrangères, de maintenir l'unité du Parti contre les schismatiques et les scissionnistes ; comme la défense des conquêtes de la révolution contre les saboteurs, les débris des anciennes classes exploiteuses, les agents et les espions de l'impérialisme ; comme la vigilance des organes de protection publique répondant à la sainte colère du peuple travailleur devant les dangers qui le menacent au-dedans et au-dehors. «Fictions » est une manière académique de s'exprimer au lieu de dire tout simplement «mensonges». 12. Cf. Sur l'origiru de la llgende du " trotskisme». (Attestation, documentaires). Lettres de L. Trotski, E. A. Pr~obrajcnski, G. Piatakov, K. Radek, Chr. Racovski, V. Eltsine, in Bulletin de /'Opposition (bolchiviks-llniniJtes), n° 9, Paris, ftvricr-mars 1931. Biblioteca Gino Bianco 153 Les bolchéviks se sont d'abord sincèrement trompés en adoptant aveuglément comme une certitude et en professant la mission historique du prolétariat, puis en la transférant à leur parti érigé en instrument conscient de l'histoire universelle. Ensuite ils se mentaient à eux-mêmes en transformant une hypothèse contestable en thèse intangible et en l'imposant par des méthodes de plus en plus immorales qui permettent de vaincre sans convaincre. Enfin ils ont menti sciemment et systématiquement à autrui pour perpétuer leur conquête militaire du pouvoir et pour propager leur hégémonie politique à l'extérieur. Dans cette perversion irrémédiable du bolchévisme, la responsabilité initiale de Lénine, puis celle des épigones de droite et de gauche sont telles qu'on ne saurait y discerner une part spécialement personnelle de Staline. Là où l'originalité de Staline apparaît, c'est dans l'emploi de la ruse et de la violence combinées au suprême degré pour atteindre certains buts, c'est surtout dans la capacité de reculer à l'infini les limites concevables de la tyrannie en ce qu'elle peut comporter d'inhumain et d'immoral. Le stalinisme proprement dit s'affirme avec force et relief par la succession et l'enchaînement des actes beaucoup plus qu'en paroles. * '1- ,,. IL APPARTIENT EN PROPRE à Staline d'avoir établi dans le plus vaste pays d'Europe et d'Asie un régime de terrorisme étatique permanent et sans exemple dans l'histoire ; d'avoir à cet effet commis des assassinats et des déportations en masse qu'aucune statistique jusqu'à présent ne dénombre; d'avoir, comme moyen, conféré à la police secrète le droit de vie ou de mort sur les populations soumises ; d'avoir massacré et déraciné par millions des famillespaysannes pour Ï91Poser la collectivisation agraire; d'avoir ainsi provoqué une famine artificielle qui a causé des millions de victimes ; d'avoir déshonoré, avili, mis à mort l'ensemble des cadres supérieurs du Parti, de l'Etat, de l'armée, sélectionnés du vivant de Lénine, en recourant à la torture comme procédé habituel pour arracher de faux aveux à des accusés innocents et en machinant des procès monstrueux pour couvrir son extraordinaire entreprise homicide; d'avoir froidement, de propos délibéré, anéanti au physique presque toute la génération des vétérans du socialisme de toutes nuances, non sans dissoudre d'abord leurs associations inoffensives et suspendre leurs publications, censurer leurs écrits, leurs souvenirs, de même qu'il avait retiré de la circulation les œuvres imprimées de toutes ses victimes, allant jusqu'à censurer Marx et Lénine ; d'avoir supprimé l'Institut Marx et Engels, ses éditions savantes, ses Annales du marxisme, ses Archives Marx-Engels, d'avoir déporté son fondateur et directeur D. Ria- ?.anovet presque tous ses collaborateurs ; d'avoir assassiné sa femme Nadiejda Allilouieva, son beau-frère A. Svanidzé, ses plus proches compagnons d'adolescence A. Enoukidzé, S. Ordjo-
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