Le Contrat Social - anno IX - n. 3 - mag.-giu. 1965

150 Parti s'est confondu avec les cadres supérieurs de l'Etat, l'ensemble étant soumis aux volontés d'une certaine «oligarchie ))(expression de Lénine 2 en personne). Certes, Staline n'a pas créé de toutes pièces le système de coercition dont il usera et abusera pour instaurer son autocratie personnelle. Il a hérité de Lénine le régime oligarchique où les organes de persuasion et de dissuasion, de pression et de répression, assurent la pérennité du pouvoir établi, la perpétuation du fait accompli en Octobre. Les expédients de la guerre civile, les mesures d'exception inspirées de circonstances exceptionnelles deviennent après le soulèvement prolétaire de Cronstadt en 1921 les conditions permanentes de la vie soviétique. A la mort de Lénine, le Parti est déjà transformé en organisation militaire strictement hiérarchisée et disciplinée, les soviets ne sont qu'un décor, les syndicats professionnels servent d' appendices à l'administration étatique, l'appareil judiciaire est entièrement subordonné à la raison d'Etat exprimée par le Parti, la police secrète est omniprésente et peut tout se permettre au détriment de la population sans défense : seul le Parti, par privilège, échappe encore à l'arbitraire policier. Mais Lénine, au xe Congrès du Parti en 1921, a «mis le couvercle sur l'opposition)), c'est-àdire aboli toute liberté de critique entre communistes, toute démocratie intérieure, il a soumis le Parti à l'état de siège déjà imposé au pays 3 • Le « centralisme démocratique)> prôné par les dirigeants est un leurre, la prétendue dictature du prolétariat s'exerce de plus en plus sur et contre le prolétariat, et si Wilhelm Liebknecht, en 1867, · avait pu qualifier le Reichstag de « feuille de vigne de l'absolu~isme ))' à plus foi::<;rais?n l_es Congrès des soviets et leurs Comites executifs étaient-ils comparables à autant de feuilles de vigne d'un nouveau despotisme, plus oppressif, mieux organisé, plus efficaceque celui de l'ancien régime. Telle était la situation quand Staline, délivré de la présence de Lénine en 1924, eut les coudées plus franches pour étendre son influence et affermir son autorité personnelle. Il n'avait alors aucune idée originale et, d'ailleurs, ne s'était jamais distingué ~ans l'ordre de la pensée P?litique, encore moms sur le plan de la doctrme. En diverses circonstances, lors de désaccords entre social-démocrates, puis entre communistes, son attitude s'affirmait plutôt conciliante et modérée tendant à une sorte de juste milieu entre les ext~êmes, attitude «raisonnable >)selon la sagesse dite bourgeoise. Il ne prétendait pas inn~r\~eren matière idéologique, se bornant à administrer, en sa qualité de ~ecrétaire gé~éral~.à régenter l'immense «appareil)) du Paru qui enserre le 2. In La Maladie infantile du «gauchisme» dans le communisme, Pétersbourg r920. . . . 3. Cf. Leonard Schapiro : The Origin of the Commun_ist Autocracy. Political Opposition in the Soviet Stat~. First Phase 1917-1922. The London School of Econormcs and Politi~l Science. Harvard University Press, Cambri4ge, Mass., r955. BibllotecaGino Bianco ., LE CONTRAT SOCIAL réseau des muitiples organes de l'Etat et toutes les formes de l'activité sociale, économique et intellectuelle du pays. Du moins ne laissait-il paraître nulle autre ambition que celle de se montrer l'homme des «tâches pratiques )) par excellence. Pourtant il s'avéra bientôt que dans le système empiriquement établi de direction et de gouvernement, les affaires pratiques allaient de pair avec les motivations théoriques : le Secrétariat du Parti s'étant peu à peu érigé en pouvoir absolu, dont il n'y a pas trace dans la Constitution soviétique, le Secrétaire général devait justifier son pouvoir en élaborant une théorie parallèle à la pratique. Ainsi va naître et s'étoffer ce quelque chose d'informe et d'indéfinissable en peu de mots sur quoi l'on finira par coller l'étiquette de stalinisme. Lénine n'était pas encore décédé qu'un conflit se dessinait déjà sourdement au «sommet)) de l'oligarchie communiste en 1923, opposant Trotski et ses partisans à leurs collègues du Comité central sur la politique économique et sur les voies et moyens de la dictature du Parti. Après le refoulement et la dispersion des oppositions diverses manifestées à l'intérieur du Parti depuis 1917 contre la «ligne ))léniniste, après les plus récentes mesures de rigueur prises notamment contre l'« opposition ouvrière)) et le groupe du «centralisme démocratique))' après l'interdiction de rassembler des «fractions)> équivalant à la suppression de toute discussion entre camarades, une nouvelle opposition surgissait néanmoins contre le noyau dirigeant, singulièrement contre le cc triumvirat)> composé de Zinoviev, Kamenev et Staline, taxé d'incompétence et de myopie, sinon de cécité, dans sa façon de conduire les affaires 4 • A la fin de 1923, le conflit interne apparut au grand jour sous forme de polémiques acerbes visant Trotski dans la Pravda, mais Staline observant une certaine prudence et laissant Zinoviev et Kamenev mener l'attaque principale. Pourtant Trotski, préoccupé tardivement par la bureaucratisation croissante du Parti, avait mis en cause la puissance excessive du Secrétariat et la cc hiérarchie des secrétaires )). Sous l'aiguillon stimulant de l'opposition, le Comité central adopta des résolutions prometteuses de réformes et de «démocratie ouvrière ))' annonçant un «cours nouveau >)dans le Parti, résolutions dont Kamenev soulignait en public qu'elles accordaient satisfaction à Trotski sur tous les points essentiels. Il n'était donc pas question de désaccord idéologique dans ce choc des «tendances ))' mais seulement du régime intérieur du Parti ainsi que, des difficultés économico-sociales de l'année. De part et d'autre les antagonistes se réclamaient du même marxisme russifié par Lénine et des mêmes traditions du léninisme. Mais en octobre 1924, Trotski publia un recueil de ses écrits parus en 1917, avec une Introduc4. Cf. Léon Trotski : Cours nouveau. Ed. fr., Paris, s.d. (r924).

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