138 qu'a laissés dans la conscience américaine le déroulement de la révolution cubaine où le nain narguait impunément le géant sans que les armes indirectes ou économiques aient pu le réduire à la raison, on éprouverait un certain malaise en voyant avec quelle brusquerie les Etats-Unis sont intervenus dans les luttes entre les factions et les caciques de Saint-Domingue. Si le seul fait de soupçonner des contaminations castristes ou communistes motive l'envoi des marines, si l'on se résout ainsi à écraser la subversion dans l'œuf, la porte est ouverte à bien des aventures et l'on comprend qu'aient été vives les inquiétudes latinoaméricaines. Force est bien de convenir que l'affaire fut mal présentée, mal engagée, d'autant qu'on ne voyait pas l'impérieuse nécessité de compromettre un précieux capital moral, alors qu'on avait deux ans plus tôt remporté une victoire insigne. Nous désignons ainsi, sans donner dans l'emphase, l'éclatant succès remporté par le président Kennedy lorsque, sous menace d'intervention immédiate, il obtint que fussent retirées les fusées que les Soviétiques étaient en train d'installer à Cuba ; cette opération, d'une tout autre ampleur, se situe dans la même perspective générale que le débarquement à Saint-Domingue dont on s'entretient présentement. Belle occasion pour les puristes de montrer qu'on est constamment ligoté dans les principes abstraits, car enfin il est bien clair que, si l'on s'en tient à l'état actuel du droit international et aux dogmes de l'indépendance nationale, rien ne saurait empêcher un Etat souverain de disposer à l'intérieur de ses frontières des armes qu'il est à même de se procurer et que, naturellement, il déclare défensives. Mais la démonstration étant ainsi faite une fois de plus que le politique ne se confond ni avec le droit pur, ni avec la logique, ni avec la morale, personne ne refusera un assentiment sans réserves et de nature toute pratique à l'initiative de la Maison Blanche qui voyait grandir tout près des centres vitaux américains un danger formidable. Kennedy, qui se montra bon disciple de Foster Dulles et sut très réellement avancer jusqu'à voir le fond du gouffre, fut bien payé de son courage puisque Khrouchtchev lâcha pied sur toute la ligne, abandonnant Castro qui, dès lors, ne pouvait plus rien par lui-même. Cette reculade sensationnelle, dont on a trop peu parlé et qui aunüt été inconcevable au temps de Staline, a certainement entraîné une forte baisse du prestige communiste dans les pays latino-américains et elle peut expliquer en partie les échecs subséquents des communistes au Venezuela, au Brésil et au Chili, car tout est lié. Les pessimistes diront que le recul soviétique a été immédiatement utilisé sur place par les Chinois, mais il serait téméraire d'affirmer que la substitution fut réussie. Au total donc, l'opération Kennedy mérite rétrospectivement toutes les approbations, tandis que la présente opération Johnson à Saint-Domingue laisse perplexe. BibliotecaGino Bianco \ LE CONTRAT SOCIAL Elle ne peut exciper de motifs aussi valables, elle n'écarte pas les suspicions, elle répand autour d'elle une odeur d'impérialisme mal camouflé. Il se peut que les conseillers du Président, aiguillonnés par le sentiment qu'on s'était montré mou et lent à l'égard de Castro, aient été cette fois trop nerveux. Etait-il sûr que le castrisme allait s'implanter sur une autre île ? Faudra-t-il envoyer les marines partout où un gouvernement sera suspecté de gauchisme et de complaisance pour les communistes ? On voit trop à quoi conduiraient des raisonnements par extrapolation. Piquée dans l'immensité de la carte, la crise dominicaine rend cruellement sensible une double nécessité. Les Etats-Unis ne sauraient consacrer trop d'efforts à consolider les organisations fédérales du type international ou interaméricain qui, en l'occurrence, ont lamentablement donné une fois de plus la preuve de leur impuissance; c'est leur lenteur qui pousse parfois à la brutalité, laquelle ne résoud rien. Et l'on revient toujours à l'urgence de développer l'application des plans d'aide économique. Sans doute, et nous en convenons aisément, les chances du communisme ne sont pas proportionnelles à la seule misère des masses, mais il ne faudrait pas que, sous prétexte de ne pas donner dans une interprétation simpliste et démagogique, on en vînt à nier ce qui doit tout de même être pris au sérieux et conçu comme impliquant un grand devoir de justice et de réhabilitation. Personne n'ignore que, la République Argentine exceptée, l'Amérique latine fut dans son ensemble et jusqu'à ces dernières décennies une terre d'exploitation coloniale. C'est bien ce que les schématisations de la propagande s'acharnent à inscrire au passif des.seuls Etats-Unis : pour en finir avec cette accusation, il leur faut développer la grande croisade contre la faim et contre l'accablante servitude. Ce n'est pas tâche facile, on s'en doute. Kennedy a eu la chance de mener à bonne fin en quelques heures la forme la plus èénigne de la guerre préventive, celle-ci s'étant réduite au chantage ; mais la révolution préventive est une œuvre complexe et de longue haleine qui suppose sagesse et courage. Au VIETNAMt,out est, si l'on peut dire, plus tragiquement simple. Les Français évincé~, le statut provisoire tracé sur le papier, il fallait constituer en bastion défensif la moitié sud du pays. Les Américains étaient condamnés à trouver ce que les Français avaient désespérément cherché et dont ils allaient aussi vainement recommencer la quête dans le Maghreb, c'est-à-dire des gouvern2.nts indigènes dont ils pourraient se borner à épauler l'action sans trop se montrer. Les Français avaient misé sur Bao-Daï et ce fut un mauvais choix ; les Américains crurent pouvoir compter sur Diem qui avait toujours dit ne pouvoir cornbattre le communisme que s'il avait d'abord l'indépendance. Une expérience p2.tiem-
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