Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

LE SOCIALISME Il DANS UN SEUL PAYS Il par N. Valentinov () N SAIT L'IMPORTANCE qu'a prise, dans l'histoire des relations des Eglises orthodoxe et catholique, l'addition du Filioque par les papes de Rome au symbole de la foi, tel que l'avaient fixé les conciles œcuméniques. Sans vouloir faire de rapprochement incongru, on peut dire très sérieusement que, dans l'histoire de l'idéologie du parti communiste de !'U.R.S.S., une phrase d'un article dicté par Lénine les 4 et 6 janvier 1923 a joué un rôle analogue à celui du Filioque. C'est à partir de cette phrase, notamment, que s'est élaborée la théorie qui, pour une fraction du Parti, a eu une « importance particulière » 1 en tant que « vérité indiscutable» 2, à savoir l'affirmation de la possibilité d'instaurer une société pleinement socialisteen Russie sans aide extérieure, alors que d'autres, au contraire, ne voyaient là qu'une déformation des « vérités élémentaires du marxisme», altération qui, selon Trotski, aboutissait à la « création d'un mouvement purement national et indépendant » et à la « théorie réactionnaire du socialisme dans un seul pays» 3 • L'origine de cette phrase de Lénine, et avec elle d'une nouvelle doctrine qui devait avoir, on peut l'affirmer sans crainte, une portée et des conséquences mondiales, présente un intérêt exceptionnel, et il convient d'aborder cette question, peu étudiée jusqu'à présent semble-t-il, avec la plus grande attention. L'affaire débuta de la manière suivante : Lénine était convaincu que la révolution d'Octobre dont il avait pris la tête n'était qu'un prélude à la révolution mondiale, laquelle devait gagner en premier lieu les pays d'Europe les plus avancés. « Entre la victoire de la révolution d'Octobre et la victoire de la révolu1. Le Parti communiste de l'Union soviétique dans les résolutions des Con,rls, t. II, p. 169. 2. Cf. J. V. Staline: Problème, du léninisme, 1952, p. 143. 3. L. Trotski : Ma vie, Berlin 1930, t. II. Biblioteca Gino Bianco tion socialiste internationale, il ne peut y avoir de solution de continuité. » On peut trouver de semblables déclarations de Lénine dans bon nombre de ses articles et discours, et y suivre chronologiquement l'évolution de sa pensée, tantôt ferme et assurée, tantôt pleine de rebonds et de retraits étonnants : 21 février 1918 : « La révolution socialiste internationale en Europe approche d~mois en mois. » 7 mars 1918 : « Nous approchons de la période douloureuse du début de la révolution socialiste internationale. Elle va triompher dans quelques semaines, peut-être même dans quelques jours. » 28 août 1918 : « L'Autriche et l'Italie sont à la veille de la révolution. L'écroulement du système capitaliste est inévitable. » 3 octobre 1918 : « En Allemagne, la crise a commendé. Elle se terminera par le passage inévitable d'u pouvoir politique aux mains du prolétariat allemand. » 22 octobre 1918 : « Il est maintenant clair pour tout le monde que la révolution est inévitable dans tous les pays belligérants. Ce n'est plus une question de jours, mais d'heures. Nous n'avons jamais été si près de la révolution mondiale ; jamais il n'a été aussi évident que le prolétariat russe a désormais établi son pouvoir, et que nous serons suivis par des millions et des dizaines de millions de prolétaires du monde entier. La révolution allemande va éclater avec une telle force, une telle puissance organisée qu'elle résoudra toute une série de problèmes internationaux. » Or les révolutions éclatent en effet en Europe, mais ce ne sont point celles dont rêvait Lénine. Le pouvoir ne passe pas aux mains du prolétariat, le capitalisme ne s'effondre pas. Pendant quelque temps, Lénine met une sourdine à son millénarisme ; mais, en 1919, il prophétise à nouveau sans aucune retenue : 23 mars : « La semence jetée par la révolution r

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==