L'OBSERVATOIRE DES DEUX MONDES Le dossier de Maïski n'est nullement de ceux qui autorisent à faire le malin. On comblera la béante lacune des ouvrages soviétiques de référence en recourant au Figaro du 19 mai 1939 d'où sont tirées les données biographiques suivantes : Ivan Mikhaïlovitch Liakhovetski, qui fait maintenant carrière de diplomate sous le nom de Maïski après avoir été connu en Russie comme publiciste, est d'ascendance polonaise. Ses parents ont dû être exilés en Sibérie sous le tsarisme car il a fait ses études au lycée d'Omsk. Membre du parti social-démocrate depuis 1903, il a toute sa vie combattu les bolchéviks ~usqu'en 1920, date de sa volte-face étonnante. Militant socialiste, il a d'abord exercé son activité dans les régions de Samara et de Saratov. Emigré de 1907 à 1917, il vit en Angleterre et collabore aux principales revues russes : Sovremennyi Mir, Rousskoïé Bogatstvo, Liétopis, où il donne des articles sur le mouvement ouvrier en Allemagne, puis sur l'Angleterre. Rentré en Ru~sie lors de la révolution, en 1917, il devient membre du Comité central social-démocrate (menchévik) auquel le parti rival (bolchévik) a déclaré une lutte sans merci. Après l'avènement des bolchéviks au pouvoir, Maïski juge nécessaire de les combattre par tous les moyens, par l'intervention étrangère et par les armes. Il trompe ses camarades du Comité central social-démocrate qui veulent s'en tenir aux moyens pacifiques, obtient d'eux, en 1918, un congé pour aller à Perm, mais en réalité se rend à Samara, occupée par les Tchécoslovaques. Là, il entre comme ministre du Travail dans le gouvernement antibolchévique du comité de l'Assemblée constituante, qui se résorbe plus tard dans le Directoire antibolchévique d'Oufa. Pour cette raison, les social-démocrates l'excluent du Comité central, puis de l'organisation socialiste. Quand il comprend que les bolchéviks ont gagné la partie, il va prudemment en Mongolie sous prétexte de mission pour les coopératives, en 1919, et laisse passer la tourmente. En 1920, il adresse une lettre à la Pravda pour donner raison aux bolchéviks et appeler de ses vœux la révolution mondiale. Lénine le traite d' « ancien ministre de Koltchak », ce qui n'est pas tout à fait exact (le Directoire d'Oufa, transféré à Omsk, avait nommé l'amiral Koltchak ministre de la Guerre). Martov, leader des social-démocrates, le qualifie de « girouette politique ». En 1921, il réussit à se faire admettre dans le parti communiste. En 1922, il publie, dans la Krasnaia Nov, une sorte de confession mêlée de contrition, puis une brochure, La Contre-révolution démocratique où il dénonce et attaque ses anciens camarades socialistes (voir l'article de Martov intitulé : << Souvenirs d'un renégat » dans le Courrier socialiste du 9 décembre 1922). En échange de quoi, les bolchéviks lui accordent du service au commissariat des Affaires étrangères. En 1929, il représente !'U.R.S.S. en Finlande. Depuis 1933, il est en Angleterre. Il a écrit sa dernière brochure en 1922 sur La Politique extérieure de la R.S.F.S.R., pleine d'éloges pour Trotski, pour Tchitchérine, pour Litvinov, pour maintes victimes de Staline. Pouvait-il prévoir? ... Ce document figure à coup sür dans son dossier, à ouvrir le jour où il aura cessé de plaire. Il n'en avait pas fallu tant pour justifier certaines disgrâces. Afin de ne plus commettre d'imprudences, Maïski, depuis longtemps, a cessé d'écrire. Avec un dossier pareil, à qui Maïski fera-t-il Biblioteca Gino Bianco 129 avaler ses histoires à dormir debout ? Alors que Krestinski, Racovski, Karakhan, Sokolnikov, Iouréniev et tant d'autres étaient livrés aux bourreaux, que Raskolnikov refusait de rentrer dans son pays, que Litvinov et Tchitchérine pouvaient s'attendre à périr d'un jour à l'autre, un Maïski humblement aux ordres n'aurait jamais pris sur lui de parler d'un deuxième front dès le 22 juin. Il fallait le cynisme crapuleux de Staline pour se le permettre dans sa réponse du 18 juillet à Churchill. Après avoir contribué aux cc grandes victoires allemandes » (Molotov dixit), les communistes ne rougissaient pas d'escompter le secours des démocraties qu'ils avaient trahies, bafouées, quitte à les trahir et bafouer de nouveau, une fois passé le danger. Staline savait bien qu'il demandait l'impossible, qu'aucune des conditions minimales d'un débarquement en France n'existait, qu'il faudrait des années pour concevoir et réunir les moyens d'établir sur le continent ne fût-ce qu'une tête de pont. Les Etats-Unis n'étaient pas encore en guerre, l'industrie britannique n'était pas encore en mesure de fabriquer un matériel approprié aux opérations amphibies. Staline n'en ignorait rien, mais faisait semblant de penser que c'était surtout une question de volonté, sans égard aux vies humaines à sacrifier en vain. N'envoyait-il pas, lui, des millions d'hommes à des massacres inutiles? Churchill, dans ses Mémoires de guerre, n'a pas de peine à mettre en pièces l'imposture du deuxième front prématuré, en s'appuyant sur une documentation et une argumentation irréfutables. Les communistes, remarque-t-il, ont immédiatement réclamé à grands cris, de l'Angleterre harassée, les munitions dont elle avait elle-même tant besoin, et demandé aux EtatsUnis les fournitures sur lesquelles comptait l'Angleterre. « ...Même dès l'été de 1941, ils vociféraient pour obtenir des débarquements britanniques en Europe, nonobstant les risques et leur-coût, afin d'établir un deuxième front. Les communistes anglais qui avaient jusqu'alors travaillé le moins possible dans les usines et dénoncé la guerre capitaliste impérialiste firent volteface en un tournemain et se mirent à barbouiller le slogan: deuxième front immédiat sur les murs et les palissades. » Il qualifie avec raison ces faits d'ignominieux, mais il se trompe étrangement quand il écrit que« les Russes n'ont jamais compris dans la moindre mesure la nature de l'opération amphibie nécessaire à débarquer et maintenir une grande armée sur un rivage hostile bien défendu ». Staline et ses séides comprenaient très bien, mais n'en avaient cure. Citons ici l'exposé de Churchill : Les Américains eux-mêmes, à ce moment, méconnaissaient largement les difficultés. Une supériorité non seulement navale, mais aérienne, sur le lieu d'invasion, était indispensable. De plus, il y avait un troisième facteur vital. Une immense armada de landing crafts spécialement construits, surtout d'engins de débarquement de chars de toutes sortes, était la condition de tout débarquement réussi contre une forte résistance. Pour créer cette armada, comme on l'a vu et comme on le
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