Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

124 due par les touristes occidentaux 57 • Un article publié en 1963 citait nommément des touristes américains et israéliens comme étant des saboteurs idéologiques manœuvrés par les services de renseignements 58 • Des exemples détaillés montrent comment le contact avec des étrangers peut conduire insensiblement le citoyen naïf à s'adonner à la propagande antisoviétique, laquelle entraîne la privation de liberté 59 • Le pire danger est que l'étranger soit en fait un espion 60 • Pendant l'été, lors de l'afflux des visiteurs, la presse publie un nombre suffisant d'échantillons de ce genre pour que.l'on puisse parler d'une campagne orchestrée. Les avertissements ne se limitent pas à la chose écrite. La milice et le personnel hôtelier savent user de contrainte physique à l'égard des Soviétiques qui cherchent à entrer en rapport avec des étrangers. Des interventions de ce genre ont souvent grandement gêné les contacts, entre autres lors de manifestations comme le Festival de la jeunesse à Moscou 61 • Ces contraintes amènent fréquemment le Soviétique à briser net avec son nouvel ami étranger 62 • Ceux qui persistent ne le font pas toujours sans crainte, laquelle peut être vague ou au contraire fort précise : crainte de la surveillance policière ; crainte que le voisin n'apprenne sa liaison avec un étranger ; crainte de représailles telles qu'arrestation, perte de son gagne-pain ou expulsion de l'université 63 • Par suite de ces pressions multiformes, il n'y a guère que les jeunes et les vieux, ainsi que les gens doués d'un tempérament audacieux, qui osent se risquer à fréquenter des étrangers sans y avoir été dûment autorisés. Il est rare qu'un touriste fasse la connaissance d'un Soviétique d'âge moyen ayant des charges de famille, à moins que celui-ci 57. « Muscovite Warned on Tourist Contacts))' N. Y. Times, 29 juin 1963, analyse un article de la Mosko'l.1skaïa Pravda du 28 juin. 58. lé. lvanov : cc Chasseurs d'âmes ))' in Troud, 21 août 1963. . 59. V. · Choumilov : « Semences empoisonnées », in Izvestia, 28-8-63, cite le cas de citoyens soviétiques accusés de « propagande antisoviétique » pour avoir prêté l'oreille à la « propagande impérialiste » et avoir frayé avec des étrangers. L'article 7 de la loi sur les crimes d'Etat, /oc. cit., stipule que « l'agitation ou la propagande antisoviétique » est passible de « privation de liberté pour une durée de six mois à deux ans » ou de « déportation pour une durée de deux à cinq ans », ou encore des deux à la fois. 60. Cf., par ex., B. A. Viktorov: Espions déguisésen touristes, Moscou 1963, ouvrage tiré à 200.000 exemplaires. Parfois, on se contente d'insinuer que le touriste peut être impliqué dans des activités d'espionnage : cf., par ex., lé. Oline : « Promenades étranges d'un touriste américain », in Izvestia, 24 avril 1964, traduit dans The Current Digest of the Soviet Press, 20 mai 1964, pp. 32-33. 61. Cf. Barghoorn: op. cit., pp. 241-42; également Laurens Van der Post : A View of Ali the Russias, New York 1964, •pp. 29 et 286. 62. Van der Post : op. cit., pp. 163-68; Barghoorn : op. cit., p. 277. 63. Cf. M. Fischer : op. cit., p. 48 ; Van der Post : op. cit., p. 46; Barghoorn : op. cit., pp. 85, 95 et 103. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE ne se considère ou bien comme garanti contre les représailles (parce qu'il appartient à l'élite ou parce qu'il est membre du Parti), ou bien comme étant placé si bas dans l'échelle sociale qu'il n'a pas grand-chose à perdre dans l'aventure. Etant donné que les Soviétiques qui désireraient le faire hésitent à se lier avec des étrangers, le rideau de fer, en dépit des fissures, demeure une réalité. Accords d'échanges LES CONTACTS personnels entre Soviétiques et étrangers se heurtant encore à des obstacles, il est évident que ces obstacles influent sur la mise en vigueur des programmes d'échanges. En règle générale, les déclarations soviétiques concernant les échanges ne font guère qu'énumérer les buts mentionnés dans les traités (ou encore, " en sens inverse, elles prétendent que les Occidentaux profitent des échanges culturels pour s'immiscer dans les affaires intérieures de l'U .R.S.S. 64 ). Il leur arrive cependant d'en dire davantage. Il y a quelque temps, S. Romanovski, président du Comité d'Etat chargé des relations culturelles avec l'étranger, résumait les directives du Parti en la matière : sans oublier de mentionner les buts de paix et d'amitié entre les peuples, Romanovski soulignait qu'il fallait accroître l'efficacité des liens culturels pour hâter l'instauration du communisme en Union soviétique 65 • Les programmes d'échanges mettent les spécialistes soviétiques dans l'embarras. D'une part, H leur faut respecter les termes d'accords où · !'U.R.S.S. est partie. D'autre part, ils sont tenus de se conformer aux directives du Parti, l'une d'entre elles étant qu'il ne peut y avoir « coexistence pacifique des idéologies » 66 • Or, comment déterminer avec certitude l'endroit où finit l'application des programmes d'échanges et où commence la coexistence pacifique des idéologies ? On ne peut raisonnablement pas espérer des autorités plus qu'une stricte application de la lettre, le respect de l'esprit pouvant frôler dangereusement la coexistence idéologique. Ainsi, quoi de· plus logique. ·que l'Union soviétique s'intéresse plus particulièrement aux aspects des, programmes d'échanges qui peuvent être invoqués comme utiles à l' « instauration du communisme en U.R.S.S. » ? Sont les bienvenus les programmes qui lui allouent les techniciens dont elle manque dans certaines branches. Sont suspects à ses yeux, au contraire, les projets qui risquent de mettrent de nombreux Soviétiques en contact avec ce qui est considéré 64. Cf., par ex., G. Joukov : « Two Approaches Towards Cultural Contacts », in International Afjairs, nov. 1959, pp. 1927. 65. S. Romanovski : « Pour une connaissance plus approfondie et une meilleure compréhension réciproque », in Izvestia, 28 avril 1964. 66. Ibid.

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