M. J. MOODY en U.R.S.S. deux ans plus tôt, quatre prétendus musiciens étaient en réalité des agents secrets 47 • Les incidents ne manquèrent pas pendant la tournée de B. Goodman. Un Soviétique fut arrêté et un autre expulsé de la salle de concert pour avoir accepté un livre contenant la liste des disques enregistrés par l'orchestre 48 • Il est à supposer que la raison de cette mesure était que les livres en question n'avaient pas été soumis aux autorités compétentes pour approbation. On voit ainsi que le Soviétique peut être inquiété pour avoir reçu un modeste souvenir des mains d'un étranger. Le visiteur en U.R.S.S. S'IL ESTDIFFICILEpour les citoyens soviétiques de voyager en dehors des pays « socialistes », il est très facile à la plupart des étrangers d'obtenir un visa pour Moscou. Les impressions des touristes sur leurs contacts avec les Russes varient selon les individus: certains ont l'impression d'avoir eu des contacts libres, d'autres affirment le contraire. Malgré ce manque d'unanimité, plusieurs points sont parfaitement clairs. · Le touriste étranger en U.R.S.S. n'est pas entièrement libre de choisir les endroits où il désire aller, non plus que la manière de s'y rendre. Il ne reçoit pas un visa valable pour le pays tout entier, mais des visas séparés pour telle ou telle ville. Depuis 1941, certaines régions et certaines villes ont été constamment interdites aux étrangers, bien que des exceptions aient pu être consenties de temps à autre. Ces zones interdites couvrent plus du quart du territoire soviétique. Bien d'autres régions étant, de plus, « temporairement » interdites, le pourcentage réel de zones interdites est en réalité beaucoup plus élevé 49 • Le mode de transport choisi par l'étranger intéresse également les autorités. A l'égard de l'automobiliste non accompagné, la politique soviétique est quelque peu ambiguë. Ce mode de voyage a été brusquement interdit en 1962, sans qu'aucune déclaration officielle ait été publiée 50 • En mai 1964, quelques automobilistes étrangers ont pu pénétrer en U.R.S.S., bien que, là encore, personne n'ait eu notification d'une modification des règlements 51 • Ces restrictions ont pour effet d'empêcher les étrangers de visiter de nombreuses régions du pays ; elles interdisent également aux gens. vivant dans ces régions d'avoir le moindre contact avec des étrangers. 47. N. Y. Times, 1 aoflt 1964. 48. Id., 7 juin 1962. 49. US Department of State Press Release n° 579, 12 nov. 1963 ; cf. également Frederick C. Barghoorn : The Soviet Cu/rural Offensive, Princeton 1960, pp. 108-112. so. Le Monde, 29 juin 1963. 51. Thcodore Shabad in N. Y. Times, 29 déc. 1963; • Two US Womcn Startle Soviet by 1.500 Mile Trip in " Camper "•, id., s juin 1964. Biblioteca Gino Bianco 123 La police s'intéresse non seulement aux endroits où le visiteur peut aller, mais aussi à la durée de son séjour. Le touriste peut rarement demeurer plus de cinq jours dans une ville, quoique des délais plus longs soient souvent accordés pour Moscou, Léningrad et les stations balnéaires de la mer Noire 52 • Cinq jours suffisent peut-être pour visiter une ville, mais ce laps de temps est bien court si le touriste a l'intention de faire plus ample connaissance avec des personnes de rencontre. Que les touristes voyagent individuellement ou en groupe, on s'efforcera de leur adjoindre des guides de l'Intourist. Ce qui ne sera pas pour faciliter les rapports avec des Soviétiques autres que ceux choisis par le cicerone. Il arrive même que le guide tente systématiquement de prévenir tout contact : il fut conseillé à un groupe d' Américaines visitant la Géorgie de ne pas s'aventurer seules dans Tbilissi, sous prétexte que les Géorgiens étaient « trop romantiques » 53 • D'autres éléments contribuent à isoler le touriste étranger. Celui-ci est logé et nourri dans des hôtels de l'Intourist où le citoyen soviétique n'a pas l'habitude de descendre. S'il veut frayer avec l'homme de la rue, il lui faut la plupart du temps sauter les repas prévus, décommander ses guides et surmonter tout seul un certain nombre d'obstacles. S'il est disposé à faire ces sacrifices, il a une chance raisonnable d'avoir des contacts avec des indigènes qui n'ont pas été préalablement sélectionnés pour donner de !'U.R.S.S. l'image idéale que la propagande souhaite imposer 54 • Le Soviétique moyen ne peut manquer d'être impressionné par les articles de presse qui soulignent les dangers qu'il y a à fréquenter les étrangers. Certaines mises en garde sont d'ordre général, d'autres se réfèrent à telle nationalité bien spécifiée. C'est ainsi que les citoyens soviétiques de nationalité juive ont été dénoncés pour leurs contacts trop fréquents avec des étrangers, notamment avec le personnel de l'ambassade d'Israël 55 • La Komsomolskaïa Pravda a prétendu qu'une jeune Russe avait été enfermée dans un harem après avoir épousé un étudiant musulman ; les étudiants africains ont, en l'occurrence, parfaitement compris que l'histoire avait pour but de dissuader la gent féminine de hanter leurs parages 56 • Celui qui lit la presse soviétique apprend à l'occasion que le visiteur étranger peut être un « saboteur idéologique >), voire un véritable espion. On lui enseigne à se méfier de la propagande répan52. Governmental Affairs Institute, Information Ccnter for American Travclers to the Soviet Union: Rcporr 011 fodividual Questionnaires, 1963, p. 2. 53. Ibid., p. 13. 54. Cf. Barghoorn : op. cit., pp. 112-15. 55. « Threc Jcws Assailcd by Soviet Papcr », in N.1'. Times, 10 juin 1963, qui rtsumc un article paru dans Troud. 56. Seymour Topping : u Africans Complain of Bias in Moscow ,., in N. Y. Times, 4 juin 1963.
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