Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

120 l'étranger» 15 • Des citoyens soviétiques de nationalité juive ont exprimé la conviction que leur origine rend plus difficilepour eux l'obtention du visa de sortie 16 • Ceux qui ont déjà voyagé à l'étranger (et qui sont par conséquent rentrés chez eux) sentent que cet élément, lorsqu'ils sollicitent un nouveau visa, leur donne un avantage sur quelqu'un qui n'a pas encore été mis à l'épreuve 17 • La destination est également importante, puisque, suivant la statistique, le quota prévu pour les voyages dans les pays « socialistes » dépasse de beaucoup celui qui est prévu pour les pays non communistes. En 1960, 82,6 % du tourisme soviétique à l'étranger s'est fait dans lesdits pays « socialistes » 18 • Outre qu'ils sont soigneusement triés au départ, les touristes soviétiques sont dûment chapitrés et chaperonnés. Ils doivent s'engager. à se conformer à certaines règles pendant leur voyage, l'une d'elles étant de s'abstenir de parler en tête à tête avec des étrangers 19 • Malgré ces précautions, la surveillance ne cesse pas au départ de !'U.R.S.S. Le groupe de touristes est immanquablement accompagné. d'un membre du K.G.B. chargé de veiller au grain 20 • Afin de cacher, autant que faire se peut, l'identité de cet ange gardien, on peut faire pression sur un ou plusieurs touristes. Comme ce fut le cas pour Klochko, une promesse de collaboration est parfois exigée pour l'obtention du visa de sortie 21 • La surveillance policière vise plusieurs objectifs : à l'extrême, elle a pour but de prévenir les défections ; sur le plan de la simple routine, elle doit décourager le touriste d'avoir des contacts libres avec les nationaux étrangers, ce qui pourrait l'amener à remettre en question les clichés imposés par la propagande 22 • Émigration LE CITOYENSOVIÉTIQUaEdu mal à faire hors des frontières de !'U.R.S.S. des voyages de durée limitée, mais il lui sera encore plus difficile d'émigrer. Bien qu'aucun droit général à l'émigration n'existe aujourd'hui en Union soviétique, en pra15. Wiliam D. Patterson : << 500.000 Potential Visitors to U.S.A. », in The Travel Agent, 10 sept. 1961, p. 38. 16. Voir une discussion sur ce sujet entre citoyens soviétiques in Markoosha Fischer : Reunion in Moscow, New York et Evanston 1962, pp. 182-84. 17. Klochko : op. cit., p. 73. 18. Report of US Travel Mission, loc. cit., p. l 5. 19. Cf. la description de l'opuscule : Règles de conduite des citoyens soviétiques à l'étranger, in Aleksander Kaznacheiev: Inside a Soviet Embassy, Philadelphie et New York 1962, p. 15. 20. Cf. Peter Deriabin et Frank Gibney: The Secret World, New York 1959, pp. 185-86; Klochko, op. cit., p. 75; Victor Nékrassov : « Des deux côtés de l'Océean », in Novy Mir, déc. 1962, pp. n2-13. . 21. Klochko : op. cit., p. 75. 22. Ibid., p. 73. BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE tique, quelques personnes ont pu émigrer légalement. Il s'agissait, pour la plupart, de rapatriés. Le rapatriement peut intervenir en vertu d'un accord tel que le traité polono-soviétique de 1957 23 • En l'absence de pareil accord, les personnes d'origine étrangère résidant en U.R.S.S. ne peuvent guère espérer l'autorisation d'émigrer. Dans certains cas, il existe des critères permettant à telle catégorie de personnes, celles par exemple qui ont de proches parents à l'étranger, de quitter le territoire de !'U.R.S.S. C'est ainsi qu'en 1963, pour la première fois, des Arméniens d'Erivan ont obtenu leur visa de sortie après avoir présenté des invitations écrites d'un père, d'une mère, d'une sœur ou d'un frère résidant aux EtatsUnis. Invitations qui devaient être notariées à l'ambassade soviétique à Washington et rédigées à la fois en anglais et en russe 24 • Si le visa ·de sortie est refusé, le rapatrié peut tenter de s'adresser directement à son ambas- ,. sade. Cela ne va pas toujours sans difficulté. Les citoyens soviétiques sont tenus de présenter leur carte d'identité aux miliciens qui gardent les représentations diplomatiques. Ceux-ci peuvent interdire l'entrée aux personnes qui désirent être rapatriées, en allant même jusqu'à employer la force. En 1963, la République fédérale allemande a protesté à ce sujet 25 • Cette mésaventure peut arriver à des étrangers eux-mêmes si les miliciens de service les prennent pour des citoyens soviétiques. Cette pratique constitue un moyen fort efficacepour prévenir les contacts entre le personnel diplomatique et les gens résid-1nten U.R.S.S. Les personnes âgées, en particulier les parents de ceux qui ont déjà quitté !'U.R.S.S., sont parfois autorisées à émigrer, quoique, là encore, la chose ne soit pas encouragée. Mme Mania Davidova, âgée de 77 ans, n'a obtenu son visa· de sortie qu'après que des fonctionnaires soviétiques eurent essayé de la dissuader en prétendant qu'il n'y avait rien à manger aux Etats-Unis et qu'elle mourrait à coup sûr si elle partait 26 • Même lorsque l'affaire se termine bien, l'attente est interminable. Mm~ Lu~vize K~eJ?,eulis, 85 aJ?,s,a pu quitt~r la L1tuan1epour reJomdre sa petite-fille en Cali23. Accord en vigueur pendant une brève période en 195758, qui permettait aux Polonais évacués en U.R.S.S. entre 1939 et 1944, ainsi qu'à leurs épouses et à leurs enfants, de se réinstaller en Pologne. Le texte du traité est reproduit in United Nations Treaty Series, vol. 281, pp. 121-31. 24. Henry Tanner : « American-Armenians who Left US for Soviet Yearn to Return », in The New York Times, 18 mars 1964. Voir la réaction soviétique à l'art;icle de Tanner sous la plume de T. Krmoïan : « Nous n'avons pas besoin du " paradis " américain », in Izvestia, 1er avril 1964, dont des extraits ont été traduits in The Current Digest of the Soviet Press, 22 avril 1964, pp. 25-26. 25. « Man Pursued into Moscow Embassy », in The Times (Londres), 4 fév. 1963. 26. « Flight to Freedom, Family to End Here », in The Boston Sunday Herald, 30 déc. 1962; John P. Carberg : « Happy New Year, New Life », in The Boston Herald, 31 déc. 1962.

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