M. J. MOODY l'ordonnance, au paragraphe 16, il est question des « règlements » dont dépend son application 11 • Quoique ces règlements ne soient pas publiés et qu'il soit impossible d'en avoir connaissance, on peut cependant, par d'autres voies, se faire une idée de leur nature. Avant toute chose, il est évident que le droit de voyager à l'étranger n'existe pas. Le visa de sortie n'est pas une simple formalité. A l'occasion, les Soviétiques eux-mêmes confirment l'existence d'un processus de sélection.· Un instituteur de Léningrad avouait ainsi à un journaliste : « Certaines personnes se conduisent mal à l'étranger et font du tort à leur pays. L_'Union soviétique (...) ne choisit que des gens dignes de la représenter hors de ses frontières 12. » Ce tri préalable est si bien admis en U.R.S.S. que les Soviétiques sont souvent persuadés que les autres pays en usent de même vis-à-vis de leurs ~ropres cito~e~s. En voici un exemple caractérist1q~e : des eleves de l'Ecole polytechnique de radio de Léningrad, qui avaient écrit aux Izves!ia pour se plaindre du comportement d'un certam M. Edwards, membre d'une délégation britannique qui avait visité leur école, s'adressaient eux-même à M. Edwards en ces termes: « A la place des autorités de votre pays, il va de soi que nous ne vous accorderions plus aucun visa pour l'étranger, de peur que vous ne fassiez q.onte à vos compatriotes 13 • » Le candidat à un voyage à l'étranger doit remplir une série de questionnaires, rédiger son curriculum vitre et fournir de nombreuses photos d'identité. De plus, il doit présenter des référenc~s venant de son supérieur hiérarchique, du président de son syndicat et du secrétaire du Parti à son lieu de travail. Ces documents sont envoyés au K.G.B. (Comité de la Sécurité d'Etat) qui se livre à une enquête approndie sur lès antécédents du touriste éventuel. On peut se faire une idée de la marche des choses par les confidences d'ex-citoyens soviétiques. Mikhaïl Antonoyitch Klochko, chimiste, qui vit à présent au Canada, a relaté son entrevue avec un fonctionnaire du K.G.B. avant de recevoir l'autorisation d'assister à une réunion scientifique à l'étranger : Un beau jour, je fus appelé au téléphone par un fonctionnaire du premier bureau. (Dans chaque institut scientifique russe existe un bureau chargé des travaux 11. Le texte de cet article montre que pareils règlements étaient, à l'origine, élaborés à la fois par le ministère des Affaires étrangères de l'U.R.S.S., le ministère de l'Intérieur et le comité de la Sécurité d'Etat près le Conseil des ministres de !'U.R.S.S. Cf. § 16, ibid. Rappelons que le ministère de l'Intérieur de !'U.R.S.S. a été supprimé et ses attributions transférées aux ministères de l'Intérieur des Républiques fédérées en vertu d'un décret du 13 janv. 196o. Cf. Recueil dei lois de /'U.R.S.S. et des décrets du présidium du Soviet suprlme de /'U.R.S.S., 1938-61, cité ci-dessous comme Rec"eil dei lois, 1938-61, Moscou 1961, p. 138. 12. Roger Vaughan Bevan : • Moscow is a City of Many Moodt •, in Christian Science Monitor, s oct. 1962. 13. E. Chcvelev : • Un cadeau de M. Edwards », in l•vutia, 19 dk. 1963. Traduit in The Current Dig11t of th, SOfliei Pre11, 15 janv. 1964, p. 32. • Biblioteca Gino Bianco 119 secrets : on l'appelle le « premier » bureau pour éviter d'utiliser le mot« secret ».) On m'annonça qu'un homme viendrait me voir le jour suivant, sans me dire qui ni pourquoi, mais j'ai appris en Russie qu'il vaut mieux, à certains moments, ne pas poser de questions. Le lendemain, l'homme vint à l'heure indiquée. Il s'appelait Vsévolod Vladimirovitch Olenev et je ne l'avais jamais vu auparavant. - J'ai appris que vous désirez aller au Canada, me dit-il en me fixant d'un regard qui se voulait pénétrant. - C'est exact. - Je désire vous poser quelques questions. - Je vous en prie. Bien entendu, j'avais compris qu'Olenev faisait partie du K.G.B. et venait me voir pour compléter les renseignem~nts fou1:1:1isdans les questionnaires que j'avais remplis. Il m interrogea sur mes difficultés pendant les années 30, lorsque je fus chassé du Parti. Je lui expliquai que les accusations portées contre moi étaient dénuées de tout fondement. - Je pense que vous avez une chance d'aller au Canada. Je pris l'air intéressé et il poursuivit : - Je crois qu'à votre tour vous pourriez m'aider. - Que puis-je faire pour vous ? - Il est évident que je ne suis pas un savant mais j'ai_également l'intention de faire partie du voya~e. Je crains cependant une chose. Imaginez qu'au cours d'une visite de laboratoire ou d'une réunion de savants quelqu'un me demande : « Monsieur Olenev, quelle est votre spécialité? » Que vais-je répondre? C'est pour cela que j'ai besoin de votre aide. - De quelle façon ? - Je pourrais me faire passer pour votre assistant. Ains~, si quelqu'un pose une question, vous répondrez que Je ne parle pas anglais, mais que je travaille avec vous. - Avec plaisir, Vsévolod Vladimirovitch, lui répondisje immédiatement. Olenev m'annonça alors que la décision définitive devait être prise le soir même par le Comité central du Parti. -- Le lendemain, il revint à nouveau : - Mikhaïl Antonovitch, me dit-il, vous avez l'autorisation d'aller au Canada 14 • C'est seulement après que l'autorisation est donnée que le citoyen soviétique peut obtenir un passeport pour l'étranger, son visa de sortie et son billet. Le processus de sélection n'est pas le même pour tout le monde. Les antécédents du candidat ainsi que sa destination sont des éléments détermina~ts. Les célibataires ont plus de mal à obtenir 1~, feu vert que les gens mariés qui laissent derriere eux des membres de leur famille. A~ dire d'un Américain de la mission de 1961, « t1 est de règle que seul un membre de la famille - d'ordinaire, le chef de famille - voyage à 14. Mikh~l A. Klochko : ~ Non, !'U.R.S.S. n'est pas du tout le paradis des savants », m R,alsrb (Paris), sept. 1962, p. 75.
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