Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

] J 6 malgré les immenses destructions et la désorganisation causées par le conflit, aucune possibilité de révolution communiste ne se présenterait en Europe en raison de l'ingérence américaine dans les affaires européennes. Les Etats-Unis, expliquait-il, sont en proie à une crise de surproduction, alors que l'Europe dévastée souffre d'une crise de sous-production. La solution consis- , tait, pour les Etats-Unis, à ~couler leurs excédents en Europe, laquelle serait fort disposée à absorber tout ce qu'on mettrait à sa disposition. C'est pourquoi les communistes n'auraient pas la moindre chance de mener à bien leurs révolutions. Ce point de vue correspondait aussi bien à la théorie exposée antérieurement par Varga sur les causes et les conditions de la révolution prolétarienne qu'à la situation économique mondiale réelle. Le plan Marshall, lancé en 1947, a confirmé que l'analyse de Varga était parfaitement exacte. Naturellement, Staline accusa Varga de donner des conseils à l'ennemi. Il riposta par la résolution de 1947 du Cominform qui prenait le contrepied de la thèse de Varga 13 ; en même temps, il obligeait ses satellites à refuser le plan Marshall, assurant ainsi la domination communiste sur l'Europe orientale. Parfois, les théories de Varga ne donnaient lieu à aucune réaction défavorable, mais le plus souvent celui-ci ne s'en tirait pas à si bon compte. Dans ces cas-là, il devait pratiquer l'art byzantin de l'auto-humiliation, ce qu'il faisait toujours, après une résistance plus ou moins longue. Après l'incartade mentionnée plus haut, il tomba dans une disgrâce complète : son Institut mondial d'économie et de politique, dont il était directeur depuis plus de vingt ans, fut supprimé et la revue· publiée par cet institut cessa de paraître. Il tenta, aidé par certains de ses collègues, de défendre ses idées, mais la pression exercée sans relâche par les autorités l'obligea finalement à faire son mea-culpa au mois de mars 1949 14 • En ce qui concerne cette rétractation et toutes celles qui l'avaient précédée, il faut avouer que, dans la mesure •où ses convictions le lui permettaient, Varga était un réaliste : il jugeait probablement qu'il était plus utile à la eau.se qu'il servait en 13. Bolchévik (Moscou), 1947, n° 30, pp. 10-26. 14. Varga : « Contre la tendance réformiste des ouvrages sur l'impérialisme », in Questionsd'économique (Moscou), n° 3, 1949, pp. 77-88. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE restant en vie, afin de pouvoir constater, plus tard, l'exactitude de ses prédictions. Ses objectifs, après tout, n'étaient pas différents de ceux de ses camarades communistes ; seuls différaient quelquefois les moyens et méthodes. Dans bien des cas, cependant, il s'agissait de choisir entre le stalinisme brutal et une politique à la fois plus réaliste et plus tolérante. Pendant plusieurs année après 1949, Varga demeura dans une obscurité relative, bien qu'il ait donné (en 1953 et 1957) deux versions révisées de son œuvre de 1946. Il dut attendre 1959 pour être entièrement « réhabilité » dans un hommage rendu à l'occasion de son soe anniversaire 15 • De là jusqu'à sa mort, il demeura le« grand maître » de la recherche économique soviétique sur le monde capitaliste. * )f )f VARGAétait un petit homme tranquille ; c'était un spécialiste qui ne s'était jamais senti réellement à l'aise avec aucun de ses camarades, que ce soit Bela Kun, Zinoviev, Boukharine ou Staline. Peut-être éprouvait-il beaucoup de sympathie pour Trotski, mais, heureusement pour Varga, leurs relations se limitèrent au début des années 20, alors que le nom de Trotski n'était pas encore maudit. Pour Ruth Fischer, c'était «un petit homme redoutable, une statistique vivante qui ne s'intéressait nullement à la lutte sans merci qui se déroulait à l'intérieur du parti communiste hongrois et du Comintern, mais se consacrait entièrement à ses recherches économiques » 16 • C'est probablement pour cette raison, et à ce prix, qu'il put survivre à toutes les épurations. Si la façon dont meurt un homme témoignè pour la façon dont il a vécu, la mort de Varga est caractéristique : il est décédé le 8 octobre 1964, alors que les initiés s'attendaient déjà à la chute de Khrouchtchev. Ainsi, jusque dans la mort, Varga restait au ·second rang. LASZLO TIKOS. (Traduit de l'anglais) 15. Pravda, 7 nov. 1959; voir aussi Nouvelles de l'Académie des sciences de /'U.R.S.S., Section d'économie politique et de droit, n° 1, 1960. 16. Der Monat (Berlin), avril 1949, p. 45.

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