L. TIKOS l'occasion du XVIe Congrès du P.C. russe en 1930, et depuis lors , les économistes soviétiques distinguent la << crise générale » du capitalisme de telle « crise actuelle » particulière. Cette dualité est bien commode: elle permet d'entretenir le moral des adeptes pris dans l'étau du capitalisme alors que la « crise actuelle n finale est renvoyée aux calendes grecques. Des conséquences importantes ont également découlé de la dérogation à l'axiome marxiste selon lequel un certain niveau de développement industriel est « objectivement » nécessaire à la révolution prolétarienne. En premier lieu, cette dérogation créa un dilemme concernant les nations où les paysans constituent quelque 80 % de la population, leur rêve séculaire étant le morcellement des grands domaines. Si les révolutionnaires encourageaient le partage des terres, ils se gagneraient sans doute immédiatement les paysans, mais ils engendreraient une classe nouvelle de propriétaires privés, donc sujets à expropriation, et l'approvisionnement des villes en denrées alimentaires leur échapperait. Au contraire, s'ils « nationalisaient >> les grandes propriétés, ils couraient le risque de perdre l'appui politique des paysans, ce qui pouvait être tout aussi fatal à la révolution. En 1918, Varga fut chargé par le parti socialdémocrate hongrois d'étudier le problème : il opta pour le partage des terres. Toutefois, en 1919, il dut accepter la décision de la majorité extrémiste tendant à «nationaliser» plutôt qu'à redistribuer les terres. Cette solution échoua; comme Varga l'avait prédit. Pour des raisons tactiques, Varga prit cependant la défense de cette ligne de conduite dans son livre publié en 1920 8 • Peu après, alors qu'il soutenait la « nouvelle politique économique » contre les « gauchistes » du Comintern, Varga aboutit à la conclusion que l'échec ·de la Hongrie en 1919 et la nep en Russie n'étaient pas des phénomènes accidentels. C'était une conséquence logique découlant de la nature même de la révolution ; une période de nep serait nécessaire, particulièrement en ce qui concerne les concessions faites aux paysans, dans toute dictature communiste instituée dans des sociétés analogues aux sociétés hongroise et russe 9 • Le fait d'avoir pris conscience du problème paysan devait, après 1945, revêtir une grande importance pour les partis communistes d'Europe orientale alors que, avec l'appui des baïonnettes soviétiques, ils réussissaient à prendre le pouvoir. En général, ils se sont d'abord déclarés en faveur de la redistribution des terres, afin d'obtenir l'appui politique des paysans; puis, une fois leur pouvoir consolidé, ils ont collectivisé les campagnes pour avoir la haute main sur la production agricole. (Une 8. Die wirtschafupo/itùchen Prob/eme ... , 2" éd., p. 17; voir aussi Die Agrarfrage in der ungarischen pro/etarischen Revolution, Reichenbcrg 1921. 9. Varga : Sozialismus und Kapita/ismus in Sorvjetruss/and, Leipzi1 1921, p. 10. Biblioteca Gino Bianco ] ] 5 tactique du même genre est appliquée maintenant par les communistes dans les pays sous-développés.) DÈs SA JEUNESSE, Varga se voua corps et âme à la cause du communisme et il demeura fidèle à ses convictions jusqu'à la fin. Convaincu, certes, mais non conformiste, ou tout au moins pas très heureux de devoir se conformer. Bien des fois, il eut à subir des humiliations dans un pays où le non-conformisme en matière de dogme est, aujourd'hui encore, tenu pour un péché capital. L'attitude fondamentale prise par Varga dans ses discussions idéologiques demeura inchangée. Dans une controverse engagée avec un communiste russe sur des questions théoriques ayant trait à l'agriculture, Varga écrivait en 1924 : Je me conforme inconditionnellement à la dicipline du Parti pour toutes les questions politiques d'ordre pratique; toutefois, même en m'opposant des citations de Lénine, on ne m'empêchera pas de défendre ma position théorique tant que je serai convaincu de sa justesse 10 • En réponse aux révolutionnaires « impatients n (parmi lesquels Bela Kun) qui l'accusaient d'être trop «tolérant» à l'égard du capitalisme, Varga écrivait en 1925 : Dans nos rapports sur l'économie mondiale, nous avons maintes fois signalé qu'il y avait une tendance immanente et certaine à la stabilisation de l'économie capitaliste. Le reproche nous en a fréquemment été fait par certains camarades -qui ne voulaient même pas entendre parler d'une certaine stabilisation et qui, dans leur « impatience révolutionnaire », voulaient voir dans un proche avenir la chute du capitalisme. Particulièrement aux IIIe et JVe Congrès du Comintern, j'ai été qualifié de « droitier » et d' « opportuniste ». Injustement! Il n'y a pas d'analyse « de droite » ou (< de gaucheJl. Il n'y a qu'une analyse « correcte » ou « incorrecte», une perspective «correcte» ou « incorrecte ii. On peut se considérer comme un excellent révolutionnaire parce qu'on a, de tout temps, souhaité la victoire du prolétariat dans un avenir immédiat ; cependant, une politique révolutionnaire ne peut être couronnée de succès que si elle repose sur une analyse correcte, correspondant aux faits 11 • Toujours fidèle à sa façon de penser, Varga publiait, en 1946, un livre ayant trait-aux changements survenus après la guerre dans l'économie capitaliste. Il y exprimait des vues qui rendirent furieux les dirigeants soviétiques 12 • Selon lui, 10. Inprekorr, 1924, n° 169, p. 825. (Revue du Comintern paraissant trois fois par semaine en allemand, français et anglais, publiée à Berlin en 1922, à Vienne en 1923, et de nouveau à Berlin de 1926 à 11932.) 1 I. J,,p,ekorr, 1925, n° 77, p. 1017. 12. Varga : Changemems surum"s dam l'économie dts pays capitalistes par suite de la dmxiJme g11erremo,,dialt, MoscouLéningrad 1946. Cette thèse originale a disparu des éditions ultérieures.
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