114 être différente suivant les circonstances ; il exprimait même l'espoir que « la terreur ne serait pas nécessaire partout». Examinant les «difficultés» économiques auxquelles la dictature hongroise s'était heurtée, il ne cacha pas sa déception devant la nature humaine et le comportement égoïste des gens après la révolution. Par exemple, les commissaires ouvriers chargés de la production dans les usines nationalisées avaient tout fait pour s'assurer, et assurer à leurs parents et amis, des emplois de tout repos ; les syndicats ouvriers « avaient maintenu sous le nouveau régime les revendications qu'ils soutenaient sous l'ancien », en exigeant une réduction des heures de travail et une augmentation des salaires; enfin, les paysans avaient protesté contre les réquisitions en réduisant leur production et en revenant à une économie fermée primitive. Varga faisait ressortir à juste titre que l'économie hongroise, après quatre ans de guerre et de révolution, était en fort mauvaise posture lorsque les révolutionnaires f étaient emparés du pouvoir ; mais il admettait franchement que les mesures éconQmiques prises par la dictature n'avaient fait qu'aggraver la baisse de la production et dµ niveau de vie. Plus tard, sa théorie révolutionnaire refléta sa conviction qu'une telle chute était inévitable lors de la réorganisation économique qui suit nécessairement la prise du pouvoir par les communistes. Ce phénomène constituait un problème très important, tant du point de vue idéologique que pratique. S'écartant de Marx mais d'accord avec Lénine (bien qu'il ait formulé ses conclusions en toute indépendance 2 ), Varga avait la conviction qu'une révolution prolétarienne n'obéit pas à une « loi immuable et objective de l'histoire », mais correspond à un élément subjectif : la volonté du prolétariat de lutter pqur une vie meilleure. Le prolétariat, ne pouvant améliorer son sort sous un régime capitaliste, s'efforce de renverser l'ordre social capitaliste dans l'espoir d'une amélioration immédiate de ses conditions de vie. Or, po-qrles raisons mentionnées plus haut, cet espoir ne peut qu'être déçu. Aussi le prolétariat, devant les maigres résultats obtenus par le régime dictatorial sur le plan économique, p~ut-il se détourner des communistes et reporter . ses espoirs _sur la bourgeoisie, « comme cela est arrivé en Hongrie » 3 • .Admettre le caractère inéluctable d'un déclin économique consécutif à la révolution aurait été de la mauvaise propagande pour la révolution prolétarienne, particulièrement du fait de la 2. En 1956, Varga déclarait qu'il n'avait fait la connaissanc_ede Lénine qu'en. 1920 et qµ'il n'avait pas lu les œuvres de celui-ci à l'époque où lui, Varga, avait formulé sa théorie révolutionnaire. Voir l'avant-propos de la ze édition de son ouvrage intitulé : A magyar kartellek (Les Cartels hongrois), Budapest 1956, p. 5. (Cet ouvrage fut publié pour la première fois en 1912.) 3. Die wirtschaftspolitischen Probleme..., 29 éd., p. 4. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE ·famine. de 1922 en Russie 4 • Pour des raisons tactiques, Varga dut reléguer cette question au second plan, mais en tant qu' économiste, il était sûr de son fait. Et, effectivement, l'histoire du développement économique de tous les pays communistes depuis l'Union soviétique jusqu'à Cuba, l'importance accordée à la formul(: « Rattraper et dépasser l'Amérique », l'annonce faite par Khrouchtchev du communisme « au goulasch », ~ut atteste l'exactitude des prévisions de Varga. OUTRE LE FAIT qu'il attachait au facteur humain « subjectif» plus d'importance qu'il n'en accordait aux causes économiques « objectives » de la révolution, Varga révisa un autre point de la théorie révolutionnaire de Marx. Exprimant une opinion analogue à celle de Lénine, mais, cette fois encore~formée de manièrè originale, il affirma que le moment le plus propice pour .une révolution se présente soit pendant, Soit aprè~ les guerres internationales, alors que l'autorité de l'Etat capitaliste se trouve affaiblie par une désor-, ganisation générale 5 • Cette révision de Marx, tout comme la première, appelait des conclusions décisives. Si le temps de guerre est propice à la révolution, le prolétariat n'a donc rien à-craindre· d'une nouvelle guerre (telle est aujourd'hui 1~ pensée des communistes chinois, et, à cet égard, ils sont plus proches de Lénine que de leurs camarades de Moscou). Varga suggérait également que certaines régions du monde épargnées par la guerre n'accompliraient pas leur révolution, contredisant par là implicitement la thèse marxiste d'une révolution mondiale simultanée. Après 1920, Varga jugea que le système capitaliste mondial était en train de se stabiliser ; là · Russie soviétique demeurait le seul pays de dictature du prolétariat cc jusqu'à la prochaine crise » 6 • Cependant le parti communiste ne pouvait pas attendre passivement la « prochaine crise» ; aussi, pour consoler ses camarades du Comintern, Varga « découvrait-il », en I 924, un n~uveau phénomène dans l'évolution du capita-. lisme : il s'agissait d'une « crise permanente» à' l'intérieur du régime capitaliste, dont celui-ci n'avait aucune chance de se relever, même dans le cas d'une stabilisation temporaire 7 • Staline incorpora cette théorie au . dogme soviétique à ., 4. Voir les remarques faites par Varga au IVe Congrès du Comintern réuni à Moscou en novembre 1922, in Protokol/ des IV. Kongresses der kommunistischen Internationale, Hambourg 1!923, pp. 53-69. 5. Varga : Die Krise der kapitalistischen Weltwirtschaft, Hambourg 1921. 6. Varga : « Die wirtschaftlichen Grundlagen des Imperialismus der Verein.igten Staaten· von Nordamerika ))' in Die kommunistische Internationale, n° 17, 1921. . . , 7. Varga : Aufstieg oder Niedergang des J.(apitalismus, Hambourg 1924, p. 15.
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