Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

LETTRES DE PROUDHON socialiste, un descendant de Proudhon, que vous faites de la propagande, que vous avez dérangé tout l'atelier de la rue Moreau. J'ai voulu lui répondre quelques observations, il m'a défendu de lui répondre en me disant qu'il n'avait rien à entendre de moi, que la première fois qu'il en entendrait parler qu'il me mettrait à la porte. Il a ajouté : C'était bien la peine que l'on vous loge et que l'on vous retire de la misère pour faire de la propagande pour ces canailles-là. L'autre jour, le gardien des voitures a eu le malheur de se couper le pied dont il est à l'hopital. M. Lafite me dit : Il n'y a que vous qui pouvez le remplacer. Alors il m'envoie au 1nagasin des voitures où je suis été trouver l'autre gardien pour qu'il me mette au courant. Monsieur Coquerel était là. Comme le gardien lui dit: Voilà Robert que Monsieur Lafite envoie pour remplacer Doué, alors M. Coquerel se met à sauter en disant : Robert, je vais le mettre à la porte. Et il m'appelle. Il me dit : Robert, allez-vous-en, je ne veux plus vous voir. Dites à Monsieur Lafite qu'il m'en envoie un autre, que je ne veux pas de vous. Sur cela je lui réponds : M. Coquerel, on ne met à la porte que les malfaiteurs et les voleurs. Il s'est détourné et il est parti. Je suis venu le dire à Monsieur Lafite. Je lui ai dit : Ayez la bonté d'en parler à M. Sauvage. Il me répond qu'il ne pouvait pas parler en ce moment-ci à Monsieur Sauvage, mais qu'il lui en parlerait, afin qu'il me place dans une station, afin que je ne sois plus sous ses yeux. Car vous comprenez, Monsieur Proudhon, que ma position n'est pas belle, vu qu'il y a un chef comme cela qui m'en veut, car s'il faut en croire les rapports, il aurait dit : Sitôt que j'en trouverai l'occasion, je le foutrai à la porte. ·Aussi veuillez écrire à Monsieur Sauvage comme vous jugerez à propos. Je suis presque certain qu'il ne sait rien de cela car il m'en aurait parlé. Je finis ma lettre en vous reco1nmandant de ne pas tarder d'écrire à Monsieur Sauvage. Je vous salue. Votre très humble serviteur, ROBERTJean-François, Rue Moreau, 15. Par la même occasion, mon beau-frère me prie de vous dire qu'il est toujours gardien a1;1chanti~.r de Bercy, qu'il fait. 15 heures,.de tra~atl et _qu 1! a toujours 2,50 par Jour et qu 11 ne_sait pas a q~i il doit s'adresser pour l'augmentation. Comme t1 passe toutes les nuits, qu'il ne voit personne, qu'il est comme un abandonné, il est malade, il ne peut pas continuer. S'ils ne_l'aug~_enten_tpas, ou bien qu'ils le logent ou bien qu tls lui donnent une place de garde-barrière, car il ne peut pas Biblioteca Gino Bianco J09 rester comme cela sans bouger, ou surveillant dans la gare si cela se peut. Il vous fait bien des compliments ainsi que ma sœur, car si nous ne réclamons pas nous dormirons là toute notre vie. Proudhon à M. Sauvage Conciergerie, 21 août 1849. Monsieur Sauvage, Directeur du Chemin de fer de Lyon, à Bercy, Permettez-moi de rappeler d'abord à votre mémoire la visite que j'eus l'honneur de vous faire de la part de MM. Gauthier Fres, de Lyon, au sujet de transports à exécuter pour je ne sais plus lequel de vos chemins de fer. Depuis cette époque, j'eus l'occasion de vous recommander un malheureux père de famille, le nommé Robert, actuellement l'un des employés de votre administration. Là se sont bornées les relations que j'ai eu l'avantage d'avoir avec vous : vous avez pu juger, par une simple conversation, quelle différence il y a entre l'homme que vous avez entretenu et la monstrueuse célébrité qu'on lui a faite. Comment se fait-il donc que sous votre di~ection~ presque sous vos yeux, un pauvre ouvrier qui n'entend pas le premier mot de mes livres et n'a d'autre tort que de s'imaginer qu'il me doit quelque reconnaissance, soit maltraité, outragé, menacé dans son travail et son existence, à cause de l'affection qu'on lui suppose pour ma personne, et cela par des hommes que leur éducation devrait rendre incapables de telles indignités ? Je me borne, Monsieur, pour vous édifier sur la manière dont on traite chez vous ceux qu'on suspécte de socialisme, à vous renvoyer inclus la lettre que m'adresse Robert. Vous jugerez par vous-même, j'en ai la ferme confiance, la réalité et la gravité du fait, et vous daignerez donner à qui de droit une leçon de convenance et d'humanité, en même temps que vous rassurerez un homme que je certifie d'avance sans reproche, sur son pain quotidien. Pardon, Monsieur, de vous donner ce petit tracas. Les opprimés, les vaincus, si vous voulez, ont droit à des égards ; et celui qu'on ne cesse de calomnier peut se permettre quelquefois de réclamer auprès des honnêtes gens. Agréez, s'il vous plaît, Monsieur, mes civilités , e1npressees. P.-J. PROUDHON.

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