100 proclame la nécessité de la propriété et du capital privé, siège de l'individualité et récompense de l'effort victorieux dans la concurrence. La propriété individuelle est indestructible, la rente de la terre invincible, l'hérédité même un fait naturel 34 • Ce n'est pas parce qu'il a dit jadis : « La Propriété c'est le vol », qu'il faut en conclure qu'il a voulu détruire la propriété, aussi indestructible que la matière 35 • Mais la propriété, c'est le vol dans son état actuel, c'est un péage sur la circulation sous le nom d'intérêt, profit, fermage, escompte, etc. 36 • Il faut, pour arriver à la constitution de la valeur vraie et à l'échange des produits contre les produits dans la proportion de la quantité de travail qu'ils ont coûté, affranchir la circulation de ce péage, et réaliser le « crédit gratuit». Voilà, en deux mots, toute la thèse de Proudhon : la gratuité, ou, comme il le disait encore, la réciprocité du crédit, le mutuellisme ; son programme de réformes sociales, c'est de conserver la propriété et le capital tout en supprimant l'intérêt. Par quel moyen? Par un moyen pacifique et sans l'assistance de l'Etat, par l'institution de la Banque d'échange. Il s'agit là d'un établissement délivrant sans intérêt et sans escompte, sous la seule déduction des frais d'administration, à tout emprunteur sérieux (tel est du moins le projet), du papier-monnaie qui doit servir d'intermédiaire dans les échanges entre adhérents de la Banque; papier garanti par les effets de commerce pris à l'escompte ou par les sûretés reçues des emprunteurs. Grâce à cette merveilleuse institution, l'intérêt est mort, puisque chacun peut emprunter gratuitement pour rembourser ses dettes et pour se livrer à la production. L'intérêt a pu être légitime jusque-là, car le commerce ne peut aucunement se passer du prêt, et il est impossible, injuste même, d'exiger du capitaliste qu'il fasse l'avance de ses fonds sans émolument 37 • Mais ce qui était légitime dans les conditions d'économie inorganique où a vécu l'ancienne société, ne l'est plus aujourd'hui que Proudhon a trouvé le moyen d'organiser le ·crédit gratuit, grâce à la Banque d'échange 38 • De fait, il chercha à instituer en I 849 une banque conforme à son principe, sous le nom de Banque du Peuple, mais elle ne fonctionna pas, à cause d'une condamnation qui survint juste à temps pour fournir à Proudhon l'occasion de liquider avant toute opération. Il eut, au dernier moment, des doutes, non seulement sur le succès de l'entre34. Contradictions économiques, t. I, pp. 219 sqq. ; t. II, pp. 181-213 ; Solution du problème social, p. 175. 35. De la Justice, t. I, p. 324. 36. C'est « un titre, le plus souvent nominal, qui ne tire plus sa valeur, comme autrefois, du travail personnel du propriétaire, mais de la circulation générale » ( Solution du problème social, p. 150). 37. De la Justice, t. I, p. 319. 38. Polémique avec Bastiat, 2e lettre, Mélanges, t. III, pp. 214 sqq. BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES prise ( à cause de la faiblesse des souscriptions et de certains dissentiments avec ses collaborateurs), mais même sur la possibilité de réaliser, par cette voie, son rêve de crédit gratuit 39 • Ce n'est pas ainsi, en effet, par ·1a fabrication d'un peu de papier représentant soi-disant du capital et mis gratuitement à la disposition des emprunteurs, que l'on peut faire disparaître l'intérêt, car ce papier est fatalement voué à la dépréciation 40 • Encore moins est-il possible de supprimer par-là la rente de la terre, le fermage et le loyer ; Proudhon le reconnaissait bien lui-même, il savait que la rente est invincible ; aussi ne songeait-il qu'à la détourner du propriétaire pour l'attribuer à d'autres, sans s'apercevoir qu'au milieu de toutes ses incohérences la rente, subsistant toujours, faisait obstacle à la détermination de la valeur par le travail, but de tous ses efforts 41 • 39. V. sur l'organisation de la Banque du Peuple, Solution du problème social; et sur son histoire, Mélanges, t. I, passim; t. II, pp. 1-III. Voici en quels termes il annonçait son entreprise aux souscripteurs, dans le journal le Peuple, en février 1849 ( Mélanges, t. II, p. 1) : « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'égale, qu'aucune n'égalera jamais. Je veux changer la base de la société, déplacer l'axe de la civilisation, faire que le monde qui, sous l'impulsion de la volonté divine, a tourné jusqu'à ce jour d'Occident en Orient, mû désormais par la volonté de l'homme, tourne d'Orient en Occident. » Le I 1 avril, dans la lettre par laquelle il annonce aux souscripteurs son intention de liquider, il dit : « Pour moi, la Banque du Peuple est une machine déjà insuffisante, et d'un trop tardif résultat.( ...) Le moment décisif est arrivé : il faut, en six mois, achever par la polémique ce que l'exemple de mille associations ouvrières centralisées par la Banque du Peuple n'accomplirait peut-être pas en dix ans » ( Mélanges, t. II, pp. 81-82). 40. Si la Banque se contente de faire l'escompte à très bon marché au moyen de billets qui ne lui coûtent rien parce qu'ils sont émis sans être couverts par une encaisse métallique, il n'en résultera pas, sur la masse énorme des capitaux d'un pays, une modification sensible du privilège attaché à leur possession; et l'intérêt, dont l'escompte n'est qu'une forme particulière et limitée, l'intérêt, phénomène général puisqu'il existe au profit de celui qui fait valoir lui-même son capital comme au profit de celui qui le prête, ne disparaîtra pas pour cela. Si la Banque se lance dans des ouvertures de crédit et veut mettre le crédit gratuit à la disposition de tous ceux qui en ont besoin, il arrivera (sans parler des risques résultant d'un crédit accordé sans garanties sérieuses de remboursement) que le possesseur de véritables capitaux, maisons, machines, marchandises, etc., refusera de s'en dessaisir en échange des bons, préférant, s'il a besoin de monnaie, aller lui-même en emprunter gratuitement à la Banque, plutôt que de se priver d'un bien productif. Donc, plus de ventes, mais seulement des trocs en nature ; le seul résultat de cette organisation du crédit serait non pas la mort de l'intérêt, mais celle de la circulation même. 41. On pourrait écrire une curieuse histoire des variations de Proudhon au sujet de la propriété foncière et de la rente. Après une violente attaque contre la propriété dans son mémoire Qu'est-ce que la Propriété? (1840), il essaie dans les Contradictions économiques (1846) d'en faire ressortir l'antinomie, d'un côté la nécessité, de l'autre la dépravation, annonçant qu'e la synthèse doit se trouver dans le nivellement des revenus fonciers au moyen de la rente (ch. XI : « La propriété », t. II, pp. 2n-12). En effet, dans l'Idée générale de la Révolution au XJXe siècle (1851), il propose de décréter que le fermier paiera désormais son fermage à titre d'annuité de remboursement et deviendra ainsi propriétaire, mais de moitié avec la commune, qui aura droit à la moitié de la rente ; cette portion de la rente devra être distribuée entre toutes les communes pour
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