Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

P.-J. PROUDHON : CENT ANS APRÈS franc-comtois les accueillerait-il, s'il pouvait les entendre ! » Et de citer la Solution du problème social où Proudhon faisait une naïve profession de foi républicaine : « Dans la République, tout citoyen, en faisant ce qu'il veut et rien que ce qu'il veut, participe directement à la législation et au gouvernement, comme il participe à la production et à la circulation de la richesse. Là, tout citoyen est roi, car il a la plénitude du pouvoir, il règne et il gouverne. La République est une anarchie positive. » Dans l'Idée générale de la Révolution, Proudhon explique ce qu'il entend par l'anarchie, ou suppression de l'autorité et du gouvernement: un régime fondé sur les contrats entre particuliers, familles et groupes sociaux, non sur des lois : rien de commun avec la conception monarchique de l'Etat. Lagardelle fait honte aux socialistes qui ont laissé à leurs adversaires l'initiative d'exploiter Proudhon : « Mais les jours sont loin où la vie intellectuelle inondait les cercles soèialistes. On ne s'y nourrit plus que de clichés et de formules... » Dans la Grande Revue d'avril 1912, Maxime Leroy traitait du «retour à Proudhon » en affirmant que «Proudhon ne devrait être revendiqué légitimement que par les syndicalistes, qui d'ailleurs l'ignorent assez communément. Sans doute fut-il adversaire des grèves et de la violence, mais cela n'importe pas. Le soufflede l'œuvre proudhonienne est syndicaliste, je veux dire égalitaire (...). En proscrivant les grèves, Proudhon était de son temps( ...). De son temps on ne se méprit pas sur le vrai caractère de Proudhon qui fut universellement considéré comme un socialiste, un adversaire de l'Etat et du capitalisme, le théoricien de l'anarchie et du fédéralisme, une sorte de déicide et de régicide (...). Laissons aux sophistes des partis de conservation et de réaction le plaisir malsain d'infliger à ce grand homme héroïque, qui fut passionné d'égalité, à ce plébéien de génie, je ne sais quelles palinodies malséantes et sacrilèges. Etudions Proudhon avec l'esprit de son temps, le sien. Toute autre attitude est injuste, immorale et inintelligente. }'avoue que le Cercle Proudhon fondé par l'Action française me répugne affreusement. C'est une violation de sépulture. » Georges Guy-Grand, dans Pages libres de février 1913, moins indigné que Maxime Leroy, concédait qu'il y a de tout et le contraire de tout, dans Proudhon : «Chacun, ayant pris parti ou suivant sa voie particulière, ne peut s'empêcher de tirer à soi cet étrange et tumultueux génie et de lire avec complaisance les textes qui abondent dans son sens. La chose est aisée; nul penseur n'est au premier abord plus chaotique que Proudhon ; on trouve de tout dans son œuvre, et il avait au surplus, comme il l'a avoué, le malheur de ne jamais se relire. » Exégète avisé, l'auteur des Controversesproudhoniennes constate queProudhon, féru de morale, de droit et de justice, capable d'orgueil extrême et d'humilité excessive, se dit surtout« honnête homme», en quoi nul ne saurait le contredire. G. Guy-Grand réfute l'interpréBiblioteca Gino Bianco 91 tation d'Henri Lagrange quant à la phobie du romantisme dont Proudhon fait preuve en attaquant Rousseau, Lamartine, George Sand et d'autres écrivains qu'il traite de «femmelins », non pas qu'il identifiât romantisme à révolution, mais parce qu'il y décelait« l'élément féminin» et condamnait l'art pour l'art. Et G. Guy-Grand demande : «S'imagine-t-on que Proudhon, qui s'attaquait âprement à ces femmelins de grande envergure qu'étaient Lamartine et George Sand, eût fait grâce à ces femmelins de taille sensiblement plus petite que sont les grands hommes du nationalisme, MM. Paul Bourget, Maurice Barrès ou Jules Lemaître ? » * Jf Jf SI LE CERCLEPROUDHONa eu au moins le mérite de susciter de fécondes« controverses proudhoniennes» et des études qu'on relit à présent avec profit, notamment celles des Amis de Proudhon, il s'en faut qu'on lui doive tout le renouvellement des connaissances sur un sujet aussi touffu et riche d'aperçus de toutes sortes. Le centenaire de Proudhon en 1909 avait incité des érudits à réexaminer ses œuvres tumultueuses pour les soumettre à une analyse compétente et sereine, comme l'a fait Aimé Berthod dans son Attitude socialede P.-J. Proudhon (Lyon 1909). Il y montre notamment que Proudhon était à l'opposite du syndicalisme révolutionnaire : «Ni la lutte pour l'augmentation des salaires et la diminution des heures de travail, ni la grève, n'auront à aucun moment son approbation. » Dans sa Capacité politique des classes ouvrières, Proudhon répudie d'avance le syndicalisme en tant que doctrine: « L'augmentation des salaires et la réduction des heures de travail ne peuvent aboutir qu'à l'enchérissement universel... » Plus loin : « Une fois sur la pente de l'arbitraire, la démocratie ouvrière, pas plus que le despotisme, ne sait s'arrêter. » Comme s'il avait prévu Sorel et son «mythe » de la grève générale et voulu brutalement le contredire : « ••• Que des bandes ouvrières, sans égards aux grands intérêts sociaux pas plus qu'aux formalités légales, entreprennent de faire violence à la liberté et aux droits des entrepreneurs, c'est ce qu'à aucun prix la société ne peut permettre. User de force contre les entrepreneurs et propriétaires, désorganiser les ateliers, arrêter le travail, risquer les capitaux, c'est conspirer la ruine universelle. » Sur ce point ne peut subsister aucune équivoque. Proudhon est contre la lutte des classes. Les solutions de la science sociale, écrit-il dans la Voix du Peuple, ne font « aucune distinction du prolétaire ni du bourgeois ; elles embrassent indifféremment tous les intérêts, toutes les classes ; elles sont au-dessus de tous les antagonismes, absolues comme la vérité même». Dans La Révolution sociale démontrée par le Coup d'Etat, il prend carrément fait et cause pour la classe

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