Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

MAX EASTMAN blement souligné les relations qui l'unissaient à moi en tant qu'auteur de ma biographie, ainsi que notre prétendue « amitié » ( •••). Il s'agit, en l'espèce, d'une brochure parfaitement anodine relative à ma jeunesse jusqu'à l'année 1902 ( ... ). Mes relations avec Eastman n'ont différé en rien de celles que j'entretenais avec de nombreux autres communistes et « sympathisants » étrangers qui m'avaient demandé mon aide dans leurs études sur la révolution d'Octobre, sur notre parti et sur l'Etat soviétique. Rien de plus. Avec une basse présomption, Eastman écrit des lignes sarcastiques touchant mon attitude « don-quichottesque « envers mes camarades les plus intimes du Comité central. Nous avons vu plus haut sur quelles fondations branlantes Eastman essaie d'élever son édifice. Il exploite des incidents isolés cueillis dans les discussions du Parti à dessein de noircir celui-ci et de ruiner la confiance qu'il inspire. Ceci, en dénaturant le sens des faits et en déformant leurs rapports dans l'ensemble et dans le détail. Aucun travailleur honnête ne se laissera prendre au tableau brossé par Eastman. Sa propre réfutation s'y trouve contenue 1 • Peu après, une série d'articles tout aussi cinglants, destinés à être publiés dans le monde entier, furent écrits par la femme de Lénine, Kroupskaïa. Pour elle, mon livre était un « ramassis de cancans ». J'ignorais tout des tâches que « l'histoire avait imposées à notre parti ». Je ne comprenais rien à l'attitude bolchévique vis-à-vis des travailleurs. A mes yeux de « petit bourgeois aux penchants anarchistes », les ouvriers étaient « de simples pions attendant d'être manœuvrés par un chef quelconque». J'avais bâti des « romans » sur les lettres adressées par Lénine aux congrès du Parti (et que j'avais baptisées « testaments »). « Le véritable testament » de Lénine ne m'intéressait pas, ce testament représenté par ses derniers articles relatifs aux « questions fondamentales touchant le Parti et le travail des soviets». J'étais bien trop occupé à calomnier le Comité central « en prétendant que le "testament " [autrement dit les lettres ci-dessus mentionnées] avait été " caché " ». J'avais fabriqué « un tissu de mensonges » autour de la question des différends survenus entre le Parti et Trotski~ et ainsi de suite. Ces malédictions officielles à mon égard furent naturellement reprises et développées avec des variantes à travers le monde par les représentants subalternes du Kremlin. « Since Eastman lied» était le titre d'un article de six colonnes publié par la revue américaine Workers Monthly (qui avait absorbé ce qui restait du vieux Liberator). 1. Trotski nia également que, comme je l'avais exposé, Lénine, au début de sa maladie, eflt proposé de le nommer v président du Conseil des commissaires du peuple ». Une erreur s'était glissée sous ma plume : j'aurais•dü écrire « président adjoint ,. ou « faisant fonction de président ». j'avais d'ailleurs déjà corrigé dans ce sens la version française de mon texte. Mais Trotski ne me rectifia pas : il se contenta de me contredire. Pour l'histoire, il n'est pas dénué d'intér~t que Lénine ait réellement fait cette proposition et que Trotski me l'ait apprise. j'ai su, depuis, que Lénine l'avait renouvelée à plusieurs reprises. Biblioteca Gino Bianco 81 La Dai/y Worker fit paraître une édition spéciale où, sur deux pages, mon ancien éditeur adjoint, Robert Minor, jaloux de moi jadis, s'en donnait à cœur joie dans un article intitulé : « Max Eastman blows up » 2 • Ce fut un grand jour pour les tireurs d'élite staliniens de tous les pays. Il n'est guère, au monde, de langage civilisé dans lequel les militants du Parti n'apprirent à prononcer - et à exécrer - mon nom. Détail mystérieux à noter dans cette désastreuse affaire : dans le journal communiste français, l'Humanité, Trotski m'attaqua à deux reprises. Sa première diatribe, en date du 16 juillet - pourtant, selon moi, suffisamment acharnée, - fit à son tour l'objet d'une attaque du Comité central du P.C.F. qui « s'étonna que la réponse faite par le camarade Trotski à ce livre immonde soit si peu claire, si peu catégorique, presque à double sens ». Mon livre, déclarait formellement le Comité, était certes « une vulgaire œuvre contrerévolutionnaire, un ramassis de ragots, de mensonges, de calomnies et d'insinuations malpropres, écrit dans le but évident de discréditer les chefs du P.C.R. et le gouvernement soviétique », mais la réponse de Trotski était « bien plus dangereuse dans son ambiguïté que le livre d'Eastman luimême ». Alors que Trotski avait écarté mon livre comme étant sans intérêt, le Comité central le considérait comme d'une importance primordiale. Le ton employé par Trotski envers l'auteur de ce livre « immonde » était celui « que l'on emploie généralement dans une discussion entre amis ». Et de conclure : « Le C.C. du P.C.F. estime que le camarade Trotski ne peut occuper plus longtemps une situation aussi équivoque entre les pires ennemis du communisme et l'I.C. et qu'une réponse, nette, claire et sans ambiguïté sur aucun point, s'impose impérieusement et sans délai. » La réponse « claire et nette » allait être donnée, mais __jeulement longtemps après. Ce n'est que le 18' août que l'Humanité publia la condamnation expresse rédigée par Trotski telle qu'elle avait parue dans le Sunday Worker. L'Humanité donnait son approbation sur le ton dont on use envers un méchant petit garçon : « Le camarade Trotski, ayant modifié le texte de la lettre, nous en publions maintenant le texte définitif. Ce texte - qui condamne catégoriquement le livre d'Eastman comme contre-révolutionnaire - donne entière satisfaction au Parti. >> Pour moi, le premier texte n'était nullement amical ou équivoque, mais il y manquait cependant quelques << directs >> qu'on me décochait dans le second. Ma « basse présomption >> était une idée nouvelle, mes << fondations branlantes » aussi, tout comme l' « exploitation » par moi « d'incidents isolés cueillis dans les discussions du Parti à dessein de le noircir ». Mais la véritable différence entre les deux textes, c'était la 2. Littéralement : u Max Eastman ne tourne plus rond 11.

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